07-05-2024 01:53 AM Jerusalem Timing

Adieu mon fils! Au Pakistan, l’exode des chiites après les attentats

Adieu mon fils! Au Pakistan, l’exode des chiites après les attentats

Depuis une décennie, les violences sectaires déchirent le Pakistan et en particulier le Baloutchistan, où près de 200.000 chiites ont plié bagages, selon les organisations locales.

Ali avait deux fils, Hassan et Hussain. Après la mort de Hassan dans l'attentat le plus meurtrier de l'histoire du Pakistan contre la minorité chiite, le vieil homme s'est résigné. "Pars", a-t-il lancé à Hussain, qui a tout abandonné pour rejoindre des milliers d'autres clandestins sur les eaux mortelles de l'espoir.

   Dans le quartier chiite de Mari Abad à Quetta, la capitale de la province instable du Baloutchistan, chaque famille porte en elle la mort et l'exil.

Depuis une décennie, les violences sectaires déchirent le Pakistan et en particulier le Baloutchistan, où près de 200.000 chiites ont plié bagages, selon les organisations locales.  

   Ici, chaque attentat pousse des jeunes dans les bras de la clandestinité.
Comme le 10 janvier 2013, lorsqu'un kamikaze s'est fait exploser dans un salon de billard.

   Une dizaine de minutes plus tard, les secouristes accouraient sur les lieux lorsqu'un camion bourré d'explosifs disposé non loin de là par des terroristes s'est embrasé. Bilan: près de cent morts, dont Mohammad Hassan, le fils d'Ali.
Son frère Iqbal Hussain, lui, a survécu aux 38 éclats d'obus qui lui ont transpercé le corps. "Six mois après l'attentat, sa mère insistait: +j'ai perdu un fils, je n'en perdrai pas un second. Et ils sont partis+", confie Ali, dans le cimetière où un corridor de "martyrs" fixent les passants de leurs regards figés dans une éternité de plastique.

   La famille a emprunté 20.000 dollars. Hussain et sa mère se sont envolés pour Karachi (sud), puis "légalement" pour l'Indonésie. Là, ils ont remis leur vie entre les mains de passeurs. Et se sont embarqués sur un rafiot pour l'Australie, la terre promise, juste avant que le gouvernement conservateur resserre ses lois sur les clandestins.

"C'était vraiment trop dangereux! Nous étions 200 sur une petite embarcation. La mer était agitée, nous appelions à l'aide", raconte par téléphone Hussain qui a finalement accosté avec sa mère sur les côtes australiennes.

   "Il n'y a pas d'espoir au Pakistan pour les jeunes chiites, mais ici c'est une nouvelle vie en Australie", assure Hussain à propos de son pays d'adoption, qui met en garde désormais au Pakistan dans des publicités au titre choc: "Pas question! Vous n'allez pas faire de l'Australie votre maison".
   
« Ma peau s'arrachait en lambeaux »


Cette nouvelle vie, Ali Raza y aspirait aussi. En 2011, ce jeune chiite de l'ethnie hazara, dont les traits asiatiques en font des cibles de choix pour les extrémistes sunnites, avait perdu son meilleur ami Yusuf dans un attentat à Quetta.

Après l'attaque, Ali Raza n'avait plus qu'une idée en tête: partir! Son père, Syed Qorban, un marchand de pneus, l'a installé en Malaisie. En vain. "Il m'a appelé pour me dire qu'il voulait passer en Australie. Je lui ai dit: +n'y va pas+ mon fils", pleure encore le vieux Syed, les yeux creusés d'une tristesse infinie.

   En mer, leur vieux bateau et ses 250 migrants illégaux ont fait naufrage.
Des corps décomposés ont été retrouvés, d'autres ont été avalés par la mer comme celui d'Ali Raza dont la famille n'arrive toujours pas à tourner la page.
"Encore aujourd'hui, je me repens. Comment ai-je pu laisser ça arriver", pleure Syed.

Mushtaq (nom modifié) était sur la même embarcation pourrie qu'Ali Raza. Mais il a survécu après trois jours de dérive en mer, sans eau potable, brûlé par un soleil sans merci. "Lorsque nous avons été retrouvés, mes lèvres étaient craquées, ma peau s'arrachait en lambeaux", raconte-t-il.

Rapatrié en Indonésie, il a retenté sa chance par les filières clandestines. Pendant une partie du trajet en mer, "j'étais sans connaissance, j'avais des flashbacks de la première traversée, je ne pouvais pas dormir, j'avais peur de mourir à chaque instant", confie Mushtaq, qui a finalement atteint l'Australie, son eden, pour y travailler.... dans un élevage de poulets.

"En restant au Pakistan, j'avais peur d'être tué, en prenant la mer j'avais peur de mourir. Dans les deux cas, la mort m'attendait, mais au moins dans l'exil il y avait l'espoir".