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Les centrales nucléaires françaises inquiètent les pays frontaliers

Les centrales nucléaires françaises inquiètent les pays frontaliers

La ville et le canton de Genève, tout d’abord, ont annoncé, mercredi 2 mars, le dépôt d’une plainte contre X pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui et pollution des eaux".

 
 C'est un véritable tir de barrage qu’essuient, depuis deux jours, les installations nucléaires françaises. Les attaques viennent de pays frontaliers, Suisse et Allemagne, qui s’inquiètent de la sûreté des centrales nucléaires du Bugey (Ain) et de Cattenom (Moselle). Mais aussi des associations antinucléaires hexagonales, qui ont dans leur collimateur l’EPR en cours de construction à Flamanville (Manche), et le futur centre industriel de stockage géologique (Cigéo) de Bure (Meuse), où doivent être enfouis les déchets radioactifs.

La ville et le canton de Genève, tout d’abord, ont annoncé, mercredi 2 mars, le dépôt d’une plainte contre X pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui et pollution des eaux », visant le site nucléaire du Bugey, distant d’environ 70 kilomètres à vol d’oiseau. L’avocate Corinne Lepage, ex-ministre française de l’environnement et présidente du mouvement le Rassemblement citoyen-CAP21, qui représente les intérêts helvétiques, a indiqué que la plainte avait été déposée le même jour à Paris.
 
Voilà longtemps que les autorités genevoises demandent la fermeture du site du Bugey, qui compte quatre réacteurs nucléaires mis en service entre 1978 et 1979. Elles s’opposent aussi à la construction, dans l’enceinte de la centrale, d’une installation de conditionnement et d’entreposage des déchets activés (Iceda), destinée à accueillir une partie des résidus radioactifs issus des neuf réacteurs français en cours de démantèlement (Brennilis, Bugey 1, Chinon A1, A2 et A3, Chooz A, Saint-Laurent A1 et A2, auxquels s’ajoute le surgénérateur superphénix de Creys-Malville).
 
Les écologistes allemands ont dans leur viseur la centrale mosellane de Cattenom, qui compte, elle aussi, quatre réacteurs couplés au réseau entre 1986 et 1991.

Les écologistes allemands, de leur côté, ont dans leur viseur la centrale mosellane de Cattenom, qui compte elle aussi quatre réacteurs couplés au réseau entre 1986 et 1991. Un rapport commandé par le groupe des Verts au Bundestag, dont rend compte le quotidien régional allemand Trierischer Volksfreund, pointe, selon le journal, des normes de sûreté « insuffisantes » qui conduiraient, outre-Rhin, à son déclassement. Le leader des Verts au Parlement allemand, Anton Hofreifer, a demandé au gouvernement fédéral d’ouvrir des négociations avec la France en vue de la fermeture de la centrale pour « danger imminent ».

EDF, qui ne commente pas la plainte visant les installations du Bugey, répond, au sujet de Cattenom, que « ce site fait l’objet d’un important programme de modernisation afin d’améliorer en permanence son niveau de sûreté ». Exemples: l’installation en cours de diesels d’ultime secours, prévus dans le cadre des travaux « post-Fukushima », ou encore la tenue, en décembre 2015, d’un exercice d’intervention de la nouvelle Force d’action nucléaire rapide (FARN). La première des quatre tranches nucléaires doit passer, en 2016, sa troisième visite décennale, qui décidera de son éventuelle prolongation au-delà de trente ans.

L’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN), lors de la présentation, en avril 2015, de son rapport sur l’« état de la sûreté et de la radioprotection en France », portant sur l’année 2014, avait fait état d’un bilan « globalement assez satisfaisant », tout en soulignant « la nécessaire mise à niveau » de la sûreté des installations nucléaires françaises.

En janvier, son président, Pierre-Franck Chevet, précisait que la mise en œuvre de l’ensemble des mesures de renforcement décidées après l’accident de Fukushima, en particulier un « noyau dur » garantissant l’alimentation en eau et en électricité en cas d’accident, « demandera[it] encore de cinq à dix ans ».

S’agissant spécifiquement de la centrale du Bugey, le dernier rapport de l’ASN notait que « les performances en matière de sûreté nucléaire restent globalement en retrait par rapport à l’appréciation générale que l’ASN porte sur EDF » et faisait état d’« interventions, réalisées à la suite d’anomalies techniques, non satisfaisantes ». Pour Cattenom, il pointait « plusieurs écarts aux référentiels d’exploitation ainsi qu’une maîtrise imparfaite des installations », concluant que « le site doit retrouver davantage de rigueur dans l’exploitation des installations ».
Areva doit mener des essais de qualification afin de démontrer que la cuve de l’EPR de Flamanville est fiable.  

Aux attaques venues de nos voisins européens s’ajoutent des actions judiciaires engagées par des organisations françaises hostiles à l’atome. L’association Notre affaire à tous et le Comité de réflexion d’information et de lutte antinucléaire (Crilan) ont annoncé, jeudi 3 mars, qu’ils déposaient un recours devant le Conseil d’Etat en vue de l’annulation d’un arrêté du 30 décembre 2015 relatif aux équipements sous pressions nucléaires.

Cette appellation technique recouvre tous les équipements contenant un fluide radioactif, tels que la cuve où se produit la fission nucléaire, les générateurs de vapeur ou le circuit de refroidissement, autant de composants cruciaux pour la sûreté. L’arrêté incriminé, expliquait en janvier le président de l’ASN, vise à donner aux exploitants « un délai supplémentaire de trois ans » pour se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation, plus contraignante, qui s’applique depuis 2005 à ces équipements.

Cet arrêté, accuse Marie Toussaint, présidente de Notre affaire à tous, « permet en réalité aux industriels de déroger à leurs obligations essentielles de sûreté ». Aux yeux des antinucléaires, il a été taillé sur mesure pour l’EPR de Flamanville, dont l’acier du couvercle et du fond de la cuve présente des défauts réduisant sa résistance à la propagation de fissures. « Autoriser une cuve potentiellement fragilisée, c’est faire courir des risques insensés à la population », dénoncent les associations.

Une lecture contre laquelle s’inscrit en faux le patron de l’autorité de sûreté. « Il ne s’agit pas d’un arrêté fait pour Flamanville », affirme Pierre-Franck Chevet, encore moins d’un « chèque en blanc » donné aux exploitants. S’agissant de la cuve de l’EPR, dont l’ASN avait elle-même rendu publics les défauts en avril 2015, son fabricant, Areva, doit mener des essais de qualification afin de démontrer qu’elle est fiable.

L’autorité de contrôle se prononcera ensuite, avec l’appui des experts de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), son avis étant prévu « à la fin de l’année ». Si les tests sur la cuve ne sont pas jugés concluants, « je ne vois pas d’autre solution que la changer », a prévenu M. Chevet.

Pour faire bonne mesure, cinq associations et ONG, dont Sortir du nucléaire, Les Amis de la Terre et France nature environnement, ont décidé d’attaquer devant le Conseil d’Etat un autre arrêté. Celui, pris le 15 janvier par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, sur le coût du futur stockage géologique des déchets nucléaires à haute activité et à vie longue, dans le sous-sol de la commune de Bure.

L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) avait évalué le prix de la construction et de l’exploitation, sur une durée de cent quarante ans, à 34,4 milliards d’euros. Les producteurs de déchets (EDF, Areva et le CEA) l’avaient chiffré, eux, à 20 milliards d’euros. Mme Royal a coupé la poire en deux, l’évaluant à 25 milliards d’euros.
 
Pour les opposants au projet, ce « coût minimisé » constitue « un cadeau à une filière nucléaire en déroute ». « Ce choix, protestent-ils, aboutira à faire payer par les générations futures les sommes non provisionnées. Déchets ingérables et lourde facture : un bel héritage ! »

Même si elle n’est peut-être pas coordonnée, cette contestation tous azimuts de la filière nucléaire française ne pourra qu’accentuer la pression qui pèse sur elle, au moment où ses acteurs historiques, EDF et Areva, traversent une grave crise financière. Et où la question de la prolongation de la durée de vie des réacteurs fait polémique. En France mais aussi, à l’évidence, au-delà de nos frontières.

 Source: Le Monde