27-04-2024 08:52 PM Jerusalem Timing

Espagne : une religieuse accusée de vol de bébés

Espagne : une religieuse accusée de vol de bébés

Le juge Baltásar Garzón a été le premier magistrat à enquêter sur ce dossier, avant d’être démis de ses fonctions par la justice espagnole...

A 87 ans, soeur Maria est la première personne à être mise en examen pour vol de bébés, un trafic sordide qui a commencé sous le franquisme et qui a perduré jusque dans les années 90 en Espagne.

María Gómez Valbuena, plus connue sous le nom de soeur María, est la cible de dizaines d'accusations dans ce scandale. À l'âge de 87 ans, cette religieuse des Filles de la charité s'est rendue jeudi devant la cour de justice de Madrid, accusée de détention illégale de mineur et falsification de documents officiels. Accompagnée d'une soeur de son ordre et de son avocat, elle a refusé de témoigner alors qu'à la sortie l'attendaient une horde de journalistes et des dizaines de familles de victimes. Quelques heures plus tard, dans un communiqué transmis à la presse, la religieuse a plaidé son innocence, niant en bloc tout ce qui lui est reproché : "Je n'ai jamais eu connaissance de la séparation d'une mère et de son nouveau-né sous la menace et demande que la vérité soit proclamée au plus vite."
Soeur María aurait fait partie de ce vaste trafic d'enlèvements de nourrissons qui a commencé au début du franquisme. Des milliers d'enfants espagnols ont été retirés à leurs mères républicaines et placés dans des familles proches de la Phalange, le parti du dictateur Franco.

Politique à l'origine, cette pratique aurait donné lieu à un négoce mafieux jusqu'en 1990.

Le juge Baltásar Garzón a été le premier magistrat à enquêter sur ce dossier, avant d'être démis de ses fonctions par la justice espagnole. Selon lui, le nombre total d'enfants enlevés entre les années 40 et 90 oscillerait entre 136 062 et 152 237. Le trafic de bébés s'appuyait sur des réseaux impliquant des gynécologues, des infirmiers, des sages-femmes, des chauffeurs de taxi, des avocats et des gens d'église : mères supérieures et prêtres. "Leur rôle était essentiel, estime le sociologue González de Tena. Ces religieux à la solde du régime national catholique inspiraient crainte et respect, et offraient aux enlèvements un paravent caritatif."

"Elle mérite le pire châtiment"

Aujourd'hui, 1 400 plaintes ont été déposées par des parents en quête de leurs enfants. C'est Marisa Torres, qui a retrouvé sa fille 29 ans après sa naissance, qui est à l'origine de l'inculpation de la soeur María. La jeune femme avait accouché en 1982 à la clinique madrilène de Santa Cristina, où la religieuse exerçait comme assistante sociale. Après l'accouchement, on lui aurait dit que sa fille était morte. L'enfant avait alors été confié à une famille dont le père adoptif est aujourd'hui appelé à comparaître comme témoin. Alejandro Alcalde raconte comment la soeur María lui a remis un bébé, une petite fille baptisée Pilar, en échange de 100 000 pesetas. Plus tard, à l'adolescence, Pilar a senti le besoin de connaître ses géniteurs. Face à l'obstination de la jeune adolescente, soeur María lui aurait répondu que sa mère était sans doute une "droguée et une prostituée". Mais la jeune fille a poursuivi ses recherches, aidée de son père adoptif. Grâce à une émission de type Perdu de vue, mère et fille ont fini par se retrouver. Elles exigent désormais réparation et surtout les aveux de la religieuse afin de démanteler le réseau : "Si elle ne le paye pas ici, elle le payera dans l'au-delà. Elle mérite le pire châtiment", fulmine Marisa.

« C'est un tabou qui tombe »

Aux yeux des associations de défense des parents, l'ouverture de ce jugement est très encourageante. "C'est un tabou qui tombe", assure Enrique Villa de l'association SOS bébés volés. Autre motif de satisfaction, le feu vert donné par le gouvernement conservateur d'ouvrir un vaste organisme de recensement. À l'instar de celui qui existe en Argentine, avec les enfants volés de la dictature, cet organisme permettra de regrouper toutes les informations concernant les victimes : nom, date de naissance, hôpital de naissance et ADN. La mise en place d'une banque d'ADN, où seront réunis tous les tests, permet de recouper les données et de découvrir les possibles liens familiaux entre les donneurs. Jusqu'à maintenant, seules 12 femmes ont pu retrouver leurs enfants, la majorité d'entre elles grâce aux émissions d'avis de recherche de la télévision. Rien que dans l'archipel des Canaries, on dénombre 800 enfants volés, presque autant que tous les bébés volés en Argentine durant la dictature.

Source: Le point