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Où se place le génie posthume de Chavez?

Où se place le génie posthume de Chavez?

Ou la nécessité d’affronter l’attaque américaine contre l’après-Chavez...

La mort du président vénézuélien Hugo Chavez se place aussitôt sous les auspices d’une crise majeure : non pas seulement une crise intérieure du pays, qui va de soi pour un tel événement et dans les circonstances générales qu’on sait, mais essentiellement une crise également générale opposant le Système aux forces nécessairement antiSystème et se plaçant complètement dans un contexte international.

Le gouvernement et d’une façon générale, le “groupe Chavez” mené pour l’instant par le vice-président Maduro, ont immédiatement et exclusivement placé l’événement dans ce contexte, et avec tous les arguments pour le faire.

Deux axes ont aussitôt été choisis pour développer ce contexte de l’agression du Système, essentiellement représenté par les USA et leur processus immémorial d’interférences et d’interventions illégales dans les pays d’Amérique latine.

D’une part, les interférences directes des USA, notamment par le biais de fonctionnaires ou militaires de l’ambassade US, avec l’expulsion immédiate de deux officiers de l’USAF travaillant à l’ambassade et qui sont accusés d’avoir proposé à des militaires vénézuéliens des actions subversives ; d’autre part, des doutes sur les causes du cancer dont Chavez est mort.

On trouve des détails de ces deux axes dans l’intervention de Maduro, dénonçant un plan de déstabilisation, sur Venezuelanalysis.com, le 5 mars 2013.

« Le Vice-président Nicolas Maduro a dénoncé aujourd’hui les plans de déstabilisation de l’international et de la droite vénézuélienne, et a annoncé l’expulsion de deux officiels étasuniens considérés comme une menace à la sécurité militaire intérieure. Il a aussi impliqué que le cancer de Chavez avait été « causé par des ennemis du Venezuela”… […]

De plus, [Maduro] a dit, “Nous n’avons aucun doute que les ennemis historiques du pays ont cherché un moyen de nuire à la santé du président Chavez… et que cette maladie est une attaque », et il a fait allusion à la possibilité d’une «attaque scientifique ». “Exactement comme c’est arrivé à Yasser Arafat… Nous allons ouvrir une enquête sur la maladie du président Chavez,” a-t-il dit. »

Cet aspect d’un complot pour susciter le cancer chez Chavez est évidemment l’axe le plus original de cette contre-attaque préventive du gouvernement vénézuélien complètement dans son rôle d’antiSystème. Russia Today, le 5 mars 2013, reprend les deux axes de cette “contre-attaque préventive” et développe notamment celui qui concerne la santé de Chavez. On y trouve rappelé les accusations de Chavez lui-même, citant son cas et celui de la présidente argentine, auxquels il aurait pu ajouter ceux de l’ancien président brésilien Lula et de l’actuelle présidente Rousseff, qui ont tous deux dû être traités pour le cancer.

« En décembre 2011, quand on a appris que Cristina Fernandez de Kirchner, la présidente de l’Argentine, avait un cancer de la thyroïde, Chavez avait envisagé la possibilité que les États-Unis soient en train d’inoculer le cancer aux leaders de la région. “Je ne veux pas faire d’accusations imprudentes,” avait dit Chavez à propos d’un chose qu’il trouvait « très très étrange ». “Serait-il tout à fait improbable que [les États-Unis] aient développé une technologie pour inoculer le cancer sans que personne ne le sache ? », a-t-il demandé.

• Un autre champ de la bataille de l’après-Chavez concerne l’économie. Sur ce point, il s’agit, du côté du Système, d’une intense opération de communication tournant autour de la récente dévaluation au Venezuela, et contre elle évidemment. Il s’agit de discréditer de toutes les façons possibles un système économique qui est en confrontation directe avec l’idéologie économique du Système, dont on peut constater partout les caractères déstructurants et dissolvants engendrant des crises successives qui mettent en cause son essence même.

Ces attaques contre le système économique vénézuélien utilisent toutes les appréciations possibles, parfois extraordinairement hollywoodiennes et abracadabrantesques, des réalités de cette dévaluation. On en a une bonne appréciation dans l’article de Mark Weisbrot, dans le Guardian du 3 mars 2013. En voici un court extrait, où Weisbrot semble avoir débusqué un économiste-Système qui pourrait bien avoir confondu, dans sa narrative, des faux chiffres du processus de l’inflation avec des faux chiffres du processus de la dévaluation :

« Sans surprise, une grande partie de ce qu’on considère comme des analyses dans les médias est basé sur des chiffres erronés et des raisonnements fallacieux.. La palme des chiffres erronés revient cette fois-ci à Moisés Naím, qui écrit dans le Financial Times que “pendant la présidence d’Hugo Chávez, le bolivar a été dévalué de 992%.” Les fans d’arithmétique verront tout de suite que c’est impossible. Il n’est pas possible de dévaluer une monnaie de plus de 100%, stade auquel elle ne vaudrait plus rien. Apparemment, toutes les exagérations sont permises quand il s’agit du Venezuela, du moment qu’elles sont négatives… »

• L’économiste Weisbrot, qui est co-auteur avec Oliver Stone du documentaire pro-Chavez South of the Border, travaille aussi avec le site Venezuelanalysis.com, qui a un fort soutien de “dissidents” pro-Chavez aux USA, et qui est une bonne source pour suivre les événements au Venezuela.

Ce site publie, notamment, ce 5 mars 2013, une analyse intéressante du Dr. Francisco Dominguez, secrétaire pour le Royaume-Uni de Venezuela Solidarity Campaign, concernant Ricardo Haussmann, collaborateur épisodique du Guardian qui prend pour cible la situation économique du Venezuela : Haussmann, homme de l’ancien régime d’avant-Chavez, puis du FMI, puis de l’université de Harvard… C’est l’archétype de l’acteur-Système agissant au niveau économique et organisant le rassemblement des diverses forces à dominante économique anti-Chavez et pro-US au Venezuela.

« Pendant la campagne électorale d’octobre dernier, que Hugo Chavez a gagnée haut la main, Haussmann (le conseiller du candidat vaincu de la droite, Henrique Capriles) a affirmé que l’opposition de droite aurait 200.000 personnes dans les bureaux de vote et pourrait donc annoncer ses propres résultats avant les résultats officiels. Heureusement ce plan (considéré par beaucoup comme une tentative de déstabilisation inquiétante qui avait pour but d’empêcher que les résultats légitimes ne soient reconnus au niveau international) a échoué à cause de l’importance de la victoire d’Hugo Chavez, et Capriles a été obligé de reconnaitre les résultats. Mais auparavant, le journal espagnol ABC avait quand même publié de faux résultats annonçant la défaite d’Hugo Chavez. Et il est certain que son rôle en tant que conseiller du candidat de droite aurait dû être mentionné dans l’article du Guardian. Cela aurait mieux permis de comprendre l’article.

 « De la même manière une partie des médias britanniques a récemment cité Diego Arria (qui nie que le coup d’état de 2002 au Venezuela en ait été un !) et María Corina Machado, une membre de droite du parlement (et une amie de George W.Bush) qui a soutenu le coup d’état de 2002. Ces deux éminentes personnalités ont signé une récente pétition appelant l’armée vénézuélienne à renverser le gouvernement élu par la nation. »

Tout cela définit une situation très spécifique, qui n’est pas inattendue si l’on considère la personnalité et l’influence du défunt autant que la vindicte et la haine dont le poursuivait le Système, mais une situation qui n’en reste pas moins extraordinaire.
Cette mort en apparence “naturelle” (par maladie) est clairement présentée et déjà perçue, et devrait être de plus en plus perçue comme une mort par agression et attentat du Système, de façon directe ou indirecte c’est selon.
Cette présentation et cette perception font que la mort de Chavez serait beaucoup plus l’occasion d’une mobilisation que d’un deuil, ou, si l’on veut, l’occasion d’un “deuil mobilisateur” qui serait l’ultime contribution directe de Chavez à la bataille antiSystème.

Il semble très probable que les élections présidentielles (dans les 30 jours, selon les déclarations du ministre des affaires étrangères du Venezuela) se feront sous le signe de la mobilisation : contre l’agression du Système (USA et économistes-Système), par ailleurs précisément ou indistinctement perçu comme responsable de la mort de Chavez par attentat médico-technologique ou subversion généralisée. Le rappel général des soupçons pesant sur les causes du cancer de Chavez devrait jouer un rôle majeur dans le comportement et la mobilisation de la population pour les élections.

Par ailleurs et si la situation de l’Amérique Latine est conforme à ce qu’on en perçoit, cette mobilisation devrait dépasser les frontières du Venezuela parce qu’elle concerne logiquement tous les régimes de la nouvelle Amérique Latine, de l’extrême gauche du Pérou de Morales au centre-gauche du Brésil de Lula-Rousseff. (On emploie ces notions de “gauche” pour la facilité, alors qu’il faudrait plutôt situer ces tendances selon la référence antiSystème.)

On ne dira pas que tous appréciaient absolument Chavez, mais tous devraient être nécessairement solidaires, au moins de l’immédiat après-Chavez, dans la mesure où les pressions du Système contre le Venezuela de Chavez impliquent une attaque contre tout le continent, dans son orientation antiSystème actuelle.

On peut aller jusqu’à l’hypothèse qu’il n’est nullement impossible que, dans certaines circonstances comme le cas d’une tentative brutale de “coup” contre le régime issu de Chavez, l’un ou l’autre voisin, y compris le puissant Brésil, envisage une intervention militaire qui s’appuierait sur une réaction populaire au Venezuela. Cette sorte d’hypothèse peut déboucher sur des situations de déstabilisation majeure où le Système n’est pas gagnant à tous les coups, – tant s’en faut, parce qu’il existe à un niveau continental la possibilité d’un furieux durcissement antiSystème dans de telles circonstances.

Mais y aura-t-il tentative directe et brutale de déstabilisation ? La doctrine du “droit à la stupidité” énoncée par Kerry étant d’emploi universel dans le Système, ce n’est pas impossible. L’expulsion des deux officiers de l’USAF pourrait en être un signe, car tenter de fomenter un coup d’État dans les forces armées vénézuéliennes dans les conditions actuelles représente une tactique d’une brutalité qui confine effectivement, dans les conditions actuelles (popularité de Chavez, soupçons sur les causes de sa mort, solidarité de l’Amérique Latine), à la fameuse “stupidité”.

(Que les deux officiers aient ou non effectivement comploté est secondaire, le fait essentiel est celui de la perception qu’on aurait qu’une telle initiative est trop conforme aux pratiques des USA pour qu’elle soit catégoriquement rejetée : dans ce cas, le soupçon basé sur l’expérience historique crée la vérité de la chose, par ailleurs quasiment impossible à déterminer objectivement…)

 
L’hypothèse d’une telle tentative active et brutale est donc à considérer, ne serait-ce que parce que tous les esprits en acceptent la possibilité, et qu’il ne faut jamais désespérer d’un Système où la multitude de pouvoirs non coordonnés entre eux et la passion anti-Chavez largement répandue accentuent la référence à la “doctrine de la stupidité”.

C’est sur ce terrain que le régime Chavez devrait en bonne logique et en juste tactique lancer l’après-Chavez, en allant très vite à de nouvelles élections pour capitaliser à la fois sur l’émotion, et surtout sur la mobilisation qui devrait accompagner cette émotion. On ajoutera, comme autre atout des successeurs de Chavez, que l’opposition est loin d’être unie autour de l’adversaire de Chavez en octobre 2012, Henrique Capriles.

Le point le plus remarquable de la situation est donc, une fois de plus, à trouver sur le terrain de la communication. L’attaque de communication du Système contre Chavez, et notamment depuis qu’il est malade, est telle, elle est d’une telle puissance impliquant les apports de la “doctrine de la stupidité”, que l’idée de l’agression s’est furtivement institutionnalisée. La mort de Chavez ne serait plus perçue comme naturelle, mais comme le résultat de cette agression. La mobilisation en deviendrait alors absolument naturelle, et si cet état d’esprit domine, et évidemment profitable au régime en place, la responsabilité générale de la crise serait perçue comme le fait de cette attaque constante et massive contre Chavez.

Même les méthodes de communication, d’“agression douce“ comme contre la Russie, devraient être déformées dans ce cas parce qu’il y a, en Amérique Latine, le poids de la brutalité historique du Système (des USA) dans cette région, méprisée et considérée comme l’arrière-cour, voire la basse-cour des USA.

On chasse difficilement l’atavisme historique de la brutalité, surtout lorsqu’il se charge de cette stupidité-Système qui semble aller de pair avec l’activité surpuissante du Système, sa haine complète pour tous les principes, de la souveraineté à la légitimité, son goût pour l’illégalité allant jusqu’à la dépendance comme dans le cas d’un drogué, etc.

Tout cela est déployé depuis des années contre Chavez. Le résultat est que la mort de Chavez, quelle qu’en soit la nature, est aisément perçue comme un attentat du système, justifiant toutes les craintes, et donc la mobilisation générale, la contre-attaque “préventive” des accusations publiques du gouvernement, l’expulsion d’officiers de l’USAF comme on expulsait des agents du KGB en cas de tension, du temps de la guerre froide, et ainsi de suite.

Par Pierre Grasset, IRIB