Ou les Américains se jouent des contradictions internes, ou Karazaï feint des différends avec eux .
A l'approche de la fin de son règne, le président afghan Hamid Karzaï s'en prend de plus en plus à Washington avec une obsession en tête, selon les observateurs: faire oublier son image de "marionnette des Etats-Unis" et laisser celle d'un homme indépendant.
Porté au pouvoir à la fin 2001 par les Occidentaux qui venaient de chasser les talibans, M. Karzaï, 55 ans, doit quitter son palais en avril 2014, après son deuxième et dernier mandat.
Or sa dernière année en poste s'annonce tumultueuse.
Le week-end dernier, il a accusé les Etats-Unis, premier soutien et bailleur de fonds de son fragile régime, de chercher à maintenir des bases militaires dans le pays après le retrait de l'essentiel des forces de l'Otan prévu fin 2014.
Cette saillie a été d'autant plus mal ressentie à Washington que M. Karzaï a semblé y mettre les Etats-Unis dans le même sac que les talibans, estimant que les récents attentats perpétrés par les rebelles servaient la "rhétorique" des Américains en leur donnant des prétextes pour rester. Il a également accusé les talibans et Washington de discuter dans son dos à l'étranger.
Les Etats-Unis ont rejeté sans appel ces allégations.
Hamid Karzaï est volontiers décrit par certains observateurs comme émotif, voire paranoïaque. Mais d'autres soulignent que l'homme, connu pour son habileté politique et réputé peser chacun de ses mots, a surtout cherché avec cette sortie à regagner le cœur des Afghans.
L'historien britannique William Dalrymple, qui a rencontré M. Karzaï la semaine dernière, a ainsi décrit à l'AFP "un homme charismatique, érudit et très intelligent, qui sait parfaitement ce qu'il fait".
Lors de cet entretien, Hamid Karzaï a notamment fait référence à Shah Shuja Durrani, émir placé à la tête de l'Afghanistan par le pouvoir colonial britannique en 1839 avant d'être assassiné trois ans plus tard.
"Karzaï a le sentiment que les Etats-Unis veulent faire de lui ce que les Britanniques ont fait de Shah Shuja, un pantin qu'ils ont utilisé en fonction de leurs seuls intérêts. Il estime que Shah Shuja n'a pas montré suffisamment son indépendance... Je pense qu'il est préoccupé par son héritage", souligne l'auteur britannique.
Après son arrivée au pouvoir, l'élégant et cultivé Hamid Karzaï faisait figure de chouchou de l'Occident, une lune de miel qui vaut depuis au président au manteau traditionnel vert et violet et à la toque d'astrakan de se faire traiter régulièrement par ses opposants de "marionnette". L'image lui colle à la peau, et a nourri son impopularité dans un pays à l'identité largement fondée sur sa résistance aux invasions étrangères.
Au fur et à mesure que le pays s'est à nouveau enferré dans la guerre, les relations entre Washington et M. Karzaï se sont toutefois détériorées.
Aujourd'hui, à un an de la fin de son mandat, le président afghan semble vouloir avant tout se présenter devant son peuple comme un chef indépendant capable de se dresser face aux puissances étrangères.
Il a ainsi ces dernières semaines ordonné le retrait des forces spéciales américaines du Wardak, une province proche de Kaboul où elles sont accusées d'exactions, interdit aux soldats occidentaux d'arrêter des étudiants afghans et demandé aux forces afghanes de ne plus appeler au secours les avions de l'Otan pour éviter les bombardements aériens qui tuent régulièrement des civils.
"Ce sont des gestes désespérés, Karzaï cherche à se justifier face à l'Histoire", juge Waheed Mujda, un ancien membre du gouvernement des talibans (1996-2001) devenu analyste politique.
A la fin des années 1980, le président Najibullah, alors à la tête du gouvernement procommuniste afghan "faisait des déclarations similaires alors que les Soviétiques s'apprêtaient à quitter le pays...", remarque-t-il.
Plusieurs analystes disent par ailleurs qu'Hamid Karzaï est ulcéré par le refus des talibans d'entamer des pourparlers de paix avec son gouvernement et par le retard du transfert aux autorités afghanes de la prison américaine de Bagram, proche de Kaboul.
Pour Waheed Wafa, chercheur à l'université de Kaboul, "la confiance entre Karzaï et l'administration américaine s'est complètement évanouie" et les dernières déclarations du président afghan "montrent l'ampleur de sa frustration".