Le risque d’un enlisement se précise en Libye, favorisé par les limites fixées à l’intervention de l’Otan, la désorganisation persistante de rebelles mal armés et la résistance du régime de Mouammar Kadhafi.
"Personne aujourd'hui ne peut dire combien de temps l'opération Protecteur unifié va durer", estime François Heisbourg, conseiller spécial auprès de la Fondation de la recherche stratégique (FRS) à Paris.
L'incapacité de la coalition internationale à mettre un terme au martyre de la ville de Misrata, encerclée depuis 43 jours par les forces kadhafistes, n'en est qu'une illustration, note-t-il.
L'autre signe tangible, selon lui, que l'intervention étrangère ne donne pas les résultats escomptés, c'est que depuis que la contestation a éclaté à la mi-février, "les rebelles et les soldats de Kadhafi font des allers retours entre les faubourgs de Syrte et ceux de Benghazi, les uns et les autres s'étant cinq fois +raccompagnés+ jusqu'à leur point de départ".
Et cela persistera, assure-t-il, tant que des rebelles sans armes lourdes et peu expérimentés en matière militaire feront face à une armée libyenne dont l'avantage en hommes et en matériels est en partie annulé par les opérations aériennes de l'Otan.
Les Américains pessimistes
Le commandant des forces américaines pour l'Afrique, le général Carter Ham, a qualifié de "faible" jeudi "la probabilité" que les rebelles libyens parviennent à lancer un assaut sur Tripoli pour renverser le colonel Kadhafi.
Quant à l'efficacité relative de l'Otan, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton elle-même a reconnu qu'il était difficile pour "la puissance aérienne seule" de s'attaquer aux forces du colonel Kadhafi, qui "s'insinuent dans les villes" et "placent des tireurs d'élite sur les toits".
Dans ces conditions, "on assiste à une partition de fait du pays entre Cyrénaïque aux mains des rebelles à l'est et Tripolitaine contrôlée par Kadhafi à l'ouest, de part et d'autre d'une ligne mobile dans le golfe de Syrte. Bref, c'est l'impasse", observe M. Heisbourg.
La coalition "est entrée dans cette guerre sans idée claire de l'objectif, sans avoir défini les termes d'une fin éventuelle, pénalisée par la résolution 1973 de l'ONU" qui interdit l'envoi de troupes au sol et fait de la protection des civils le but officiel, constate-t-il.
La solution par le compromis
Le résultat, selon lui, c'est que "l'issue dépend maintenant de l'entourage de Kadhafi".
"Nous nous sommes mis dans la situation d'avoir à passer un compromis plus ou moins douteux avec la famille Kadhafi pour obtenir que le dictateur aille passer ailleurs une paisible retraite", ironise-t-il.
Si le leader libyen s'y refusait, ce qui est encore le cas comme le message qu'il a adressé mercredi au président américain Barack Obama semble le prouver, l'Otan serait tentée pour en finir de demander une résolution plus dure de l'ONU autorisant un débarquement de ses soldats, observe M. Heisbourg.
La Russie "pourrait alors imposer soit un veto soit un pénible marchandage qui forcerait des Occidentaux en état de faiblesse à faire on ne sait quelles concessions, la Chine suivant Moscou".
Enfin, si l'envoi d'un contingent terrestre était autorisé, "on aurait le risque d'avoir un Irak à nos portes, un pays d'1,5 million de kilomètres carrés aux divisions tribales connues".
"Les Américains avaient bien vu le danger", rappelle-t-il, en marquant leur peu d'enthousiasme à replonger dans un nouveau scénario à l'irakienne.
Les pays engagés en Libye, "refusant de s'enfoncer longtemps dans les sables libyens, ne vont pas avoir d'autre choix que d'accentuer la pression sur l'entourage de Kadhafi", pronostique un diplomate allié.
"Ils pourraient par exemple armer et instruire les forces rebelles et viser par (leurs) frappes le personnel politique à Tripoli". "Sans le crier sur les toits bien sûr".
Libye: situation "complexe" pour les Français
C’est l’aveu de l’état-major des armées françaises, par la voix de son porte-parole le colonel Thierry Burckhard, qui a relevé que les forces pro-Kadhafi ont "modifié leur mode d'action" en réponse aux frappes de la coalition internationale.
Tout en signalant que l'engagement de cette dernière n’a pas diminué, Burckhard enchaîne que les forces pro-Kadhafi emploient "des moyens moins traçants en première ligne", comme des pick-ups au lieu de blindés, et ont recours aux méthodes de "camouflage", "d'imbrication" avec la population.
Mais "il ne faut pas comptabiliser l'efficacité de la mission au nombre d'armes délivrées", et "clairement les frappes continuent à produire leur effet", a-t-il toutefois tempéré.