Implantée en Syrie, elle commence à se structurer au Liban
En annonçant son intention de fournir des armes aux rebelles syriens, le président François Hollande ouvre les portes du Levant à Al-Qaïda, qui, après s'être implantée en Syrie, commence à se structurer au Liban.
La décision du chef de l'Etat français ne fait pas l'unanimité en France et en Europe, est dénoncée par la Russie et critiquée par les Nations unies. Pour le vice-président du Front national (FN), Florian Philippot, il s'agit d'une "folie". Pour sa part, le président d'honneur du FN, Jean-Marie Le Pen, y voit la main d'"Israël". L'UMP prône la prudence, alors que la gauche française garde un silence complice.
Les Français, eux, se sont surtout exprimés sur la Toile, en commentant la décision de leur président sur les sites des journaux, les forums sociaux et les blogs. La plupart des réactions sont défavorables, la jugeant "incompréhensible", "irrationnelle", voire "dangereuse". Les internautes relèvent la politique des deux poids deux mesures de Paris, qui prétend combattre les extrémistes au Mali alors qu'il les soutient en Syrie.
François Hollande a tenté de rassurer les Français en leur annonçant qu'il avait reçu des "assurances" que les armes "arriveront entre de bonnes mains". Des propos d'une frappante naïveté, car personne n'est en mesure de fournir de telles garanties, surtout que le Front quaïdiste al-Nosra est le mieux organisé et le plus structuré sur le terrain, il évolue indépendamment de l'"Armée syrienne libre" (ASL), et contrôle de vastes régions dans l'Est et le Nord de la Syrie.
A Deir Ezzor et Raqa, par exemple, cette organisation extrémiste a instauré un Conseil chérié pour gérer la vie quotidienne et créé une "police des mœurs", au grand dam de la population qui manifeste régulièrement contre ses exactions, comme cela s'est passé cette semaine pendant quatre jours d'affilée à Mayadine (Deir Ezzor) et se produit souvent à Alep.
En Arabie saoudite, en fin de semaine dernière, le secrétaire américain à la Justice, Eric Holder, a déclaré qu'Al-Qaïda contrôlait une grande partie de l'"Armée syrienne libre". De son côté, le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, a exprimé les inquiétudes de l’UE concernant les "jihadistes européens" qui combattent en Syrie et pourraient "représenter une menace" lorsqu’ils rentreront dans leur pays.
Al Qaïda au Liban
En envoyant des armes aux rebelles syriens, la France contribue donc d'une manière certaine au renforcement des capacités d'Al-Qaïda, qui n'a aucune difficulté à s'emparer des arsenaux des autres groupes armés, lorsque ceux-ci ne les lui vendent pas directement.
D'ailleurs, le Front al-Nosra se sent tellement à l'aise sur les plans des effectifs et de l'armement qu'il a commencé à envoyer depuis plusieurs mois des cadres expérimentés au Liban pour y monter une structure au Liban-Nord, dans la Békaa et dans le camp palestinien d'Aïn el-Heloué.
La montée en puissance de la mouvance takfiriste a fait l'objet de nombreux rapports envoyés par des diplomates occidentaux à leurs capitales. L'une de ces notes diplomatiques souligne que "l'influence des groupes islamistes extrémistes a nettement augmenté au Liban depuis le début des incidents en Syrie et l'afflux des réfugiés syriens". Le rapport indique que les "takfiristes s'infiltrent au Liban dans le flot des réfugiés, notamment au Liban-Nord, dans la Békaa, dans certains quartiers de Beyrouth, à Saïda et dans des villages de la région de Arkoub, au Liban-Sud."
La revue américaine Frontpage Magazine avait annoncé, début mars, que "des centaines de membres d'Al-Qaïda affluent au Liban, en provenance de Syrie, pour y exporter la guerre et combattre le Hezbollah". "Aux yeux des membres d'al-Nosra, le Liban fait partie intégrante des plans qu'il faut mettre en application en Syrie", écrit la revue. "Al-Nosra cherche en ce moment à obtenir une fusion pure et nette de toutes les milices syriennes et libanaises", rapporte Frontpage Magazine avant d'ajouter: "La milice libanaise Dargham coopère très étroitement avec al-Nosra, et c'est de cette coopération qu'est née la branche libanaise de l'organisation".
Des sources de sécurité libanaises révèlent que les affrontements qui ont opposé en début de semaine des membres du Fateh et un groupe extrémiste salafiste à Aïn el-Heloué, à l'Est de Saïda, sont directement liés aux tentatives du Front al-Nosra de s'implanter dans ce camp.
Selon ces sources, al-Nosra s'efforce d'unir sous sa bannière des membres de Fateh al-islam, Osbat al-Ansar, les Brigades Abdallah Azzam, al-Haraka al-islamiya al-Moujahida et Jund el-Cham. Fateh el-islam et Jund al-Cham s'étaient illustrés en combattant l’Armée libanaise dans le quartier de Taamir, en bordure de Aïn el-Heloué, en 2007, et à Nahr el-Bared au Liban-Nord la même année. Ce conflit avait fait 170 morts dans les rangs de l'armée et des centaines d'autres parmi les extrémistes et les civils.
La tâche de créer al-Nosra-Liban serait confiée, selon des sources bien informées, à l'extrémiste saoudien Majed Majed, plus connu sous le nom d’Abou Quotada. Il serait en relation étroite avec Abou Salim Taha, l'ancien porte-parole de Fateh al-Islam emprisonné à Roumié. Le bloc B de cette prison, où sont détenus les islamistes, aurait été transformé en véritable émirat en contact permanent avec des mouvances extrémistes à Saïda, Tripoli et Ersal, dans la Békaa.
Samer Zgheib
Source : moqawama.org