Malgré ce climat favorable, les obstacles sur le chemin d’une paix restent très nombreux..
Le chef rebelle kurde emprisonné Abdullah Oglan a appelé jeudi les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit) à déposer les armes et à quitter la Turquie, affirmant que le temps était venu de "faire prévaloir la politique".
"Nous sommes arrivés à une phase dans laquelle les armes doivent se taire (...) et les éléments armés doivent se retirer en dehors des frontières de la Turquie", a indiqué M. Oglan dans une lettre lue à Diyarbakir (sud-est) devant des centaines de milliers de personnes par un député du Parti pour la paix et la démocratie (BDP).
"Je le dis devant les millions de personnes qui écoutent mon appel, une nouvelle ère se lève où la politique doit prévaloir, pas les armes", a-t-il ajouté.
Cette annonce intervient dans le cadre des négociations directes menées avec lui par les autorités turques depuis décembre afin de mettre fin à un conflit qui a coûté la vie à 45.000 personnes.
Des centaines de milliers de personnes étaient rassemblées jeudi à Diyarbakir à l'occasion du Nouvel an kurde pour entendre l'appel au cessez-le-feu "historique" d' Oglan, qui ravive l'espoir de mettre un terme à un conflit qui déchire la Turquie depuis vingt-neuf ans.
Dès le lever du soleil, la foule a envahi l'immense esplanade où a été dressé le bûcher du "Newroz" (Nouvel an), pavoisée d'innombrables drapeaux aux couleurs kurdes, rouge jaune et vert, ou de portraits d'Abdullah Oglan.
En fin de matinée, plusieurs centaines de milliers de personnes se pressaient au pied d'une estrade dans l'attente du message du chef kurde, en agitant des banderoles proclamant "dans la paix comme dans la guerre, nous sommes avec toi, chef" ou en chantant "longue vie à notre chef Apo", le surnom d'Abdullah Oglan.
"La paix, je veux y croire. J'ai un fils dans les montagnes et un autre à l'armée. Il faut que ça cesse, il faut que les mères arrêtent de pleurer", a confié Ahmet Kaplan, un vieux paysan venu d'un village proche de Diyarbakir.
"A mon avis, il n'y aura pas de paix. Il y a de la tromperie dans tout ça", a pour sa part tranché un jeune homme brandissant un drapeau du PKK, "dans le passé aussi on nous a fait des promesses et on n'a rien obtenu".
A quatre reprises déjà depuis le début de sa rébellion en 1984, Abdullah Oglan a proclamé des cessez-le-feu unilatéraux. Jamais jusque-là ils n'ont permis de déboucher sur une solution à ce conflit qui a fait plus de 45.000 morts.
Bonne volonté
Cette fois, le gouvernement comme les rebelles semblent déterminés à parvenir à la paix. "Il est temps de dire adieu aux armes", a confié M. Oglan à ses récents visiteurs. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a répété de son côté qu'il était prêt à tout faire pour que les armes se taisent, même à "avaler du poison".
Le fil de leur dialogue a été renoué à la fin de l'automne dernier, au terme d'une année de combats particulièrement meurtriers et d'une longue grève de la faim de détenus kurdes interrompue sur ordre du chef du PKK.
Depuis, les gestes de bonne volonté se sont enchaînés. Ankara a levé l'isolement imposé à Abdullah Oglan et déposé au Parlement un "paquet" législatif qui doit permettre la remise en liberté de centaines de Kurdes incarcérés pour leurs liens avec le PKK.
En retour, le mouvement rebelle, considéré comme une organisation terroriste en Turquie et dans de nombreux pays occidentaux, a libéré la semaine dernière huit prisonniers turcs détenus en Irak.
Malgré ce climat favorable, les obstacles sur le chemin d'une paix restent très nombreux.
A commencer par le sort réservé à Abdullah Oglan. Ankara a écarté toute idée d'amnistie générale mais les Kurdes insistent pour sa remise en liberté ou, à défaut, son assignation à résidence.
Le processus de paix ne fait pas non plus l'unanimité. Une majorité de Turcs rejettent l'idée d'une négociation directe avec Abdullah Oglan, largement considéré comme un "terroriste" ou un "tueur d'enfants".
Malgré ses dénégations, l'opposition soupçonne aussi M. Erdogan d'arrière-pensées plus politiciennes. En clair, de vouloir accorder des droits aux Kurdes en échange de leur soutien à un projet de Constitution renforçant les pouvoirs du président. Contraint de quitter la tête du gouvernement en 2015, le Premier ministre ne cache pas son intention de briguer la magistrature suprême en 2014.
Signe que l'appel à la paix attendu du chef du PKK suscite des tensions dans ses propres troupes, des affrontements ont opposé jeudi matin les forces de l'ordre et des manifestants kurdes dans la ville de Sirnak, près de la frontière irakienne.