"La façon systématique et méthodique avec laquelle les quartiers ont été rasés suggère clairement une certaine forme de préparation par des éléments radicaux"
Confrontée depuis deux ans aux défis posés par l'ouverture politique, la Birmanie découvre aujourd'hui le pouvoir destructeur des violences islamophobes, derrière lesquelles se dégagent des leaders extrémistes, dont des moines bouddhistes ultra-nationalistes.
En 2012, des affrontements entre bouddhistes de la minorité ethnique rakhine et musulmans de la minorité apatride des Rohingyas avaient fait plus de 180 morts et 125.000 déplacés dans l'ouest.
Un déferlement de haine s'était propagé sur les réseaux sociaux contre une minorité décrite comme un groupe d'immigrés illégaux et méprisables. Depuis dix jours, d'autres violences ont éclaté, visant cette fois des citoyens birmans de confession islamique, arrivés depuis parfois plus d'un siècle d'Inde, du Bangladesh ou de Chine.
Bilan, 43 morts et de nombreuses mosquées brûlées dans une vaste région du centre du pays. Et si les témoignages sont contradictoires sur le déclenchement des violences, une action coordonnée semble être privilégiée par les observateurs.
"La façon systématique et méthodique avec laquelle les quartiers ont été rasés suggère clairement une certaine forme de préparation par des éléments radicaux", a indiqué Jim Della-Giacoma (International Crisis Group).
"Il y a des agents provocateurs actifs dans le pays avec des objectifs radicaux islamophobes, dont des moines bouddhistes influents".
Des voix s'élèvent au sein de la société civile et des leaders religieux pour que le pays réponde à cette flambée de discours dangereux et de violences qui remettent en cause la transition vers la démocratie.
"Nous devons prévenir les disputes raciales et religieuses", a lancé jeudi Thet Swe Win, qui co-organisait une manifestation oecuménique à Rangoun. "Il faut empêcher l'incendie de se propager".
Un incendie qui vient pour une part de membres de la hiérarchie bouddhiste, au premier rang pendant des décennies de la lutte pro-démocratie, et qui font désormais campagne pour que les bouddhistes se marient et fassent des affaires entre eux uniquement.
Un autocollant portant les chiffres "969", des références bouddhistes, est apparu sur des taxis et des magasins censés refuser lesclients musulmans.
Et sur toutes les lèvres apparaît le nom du supérieur d'un monastère de Mandalay, Ashin Wirathu, qui accuse les musulmans d'infiltrer les partis politiques du pays et de constituer une menace pour la Nation.
Les musulmans "vont prendre nos filles avec leur argent. Ils vont les convertir de force à l'islam. Tous ces enfants deviendront un danger pour le pays. Ils vont détruire notre langue et notre religion", dit-il dans un discours posté sur internet.
Dans un pays où la majorité bamar considère le bouddhisme comme une partie intégrante de l'identité nationale, son discours trouve un certain écho.
Mais jeudi, le président Thein Sein a voulu s'en démarquer en avertissant les "opportunistes politiques et extrémistes religieux" que leurs actions ne seraient "pas tolérées", dans sa première adresse à la Nation depuis les émeutes.
Un discours "courageux", selon l'analyste indépendant Maël Raynaud, "très clair à la fois dans son appel à la tolérance, et dans sa volonté de ne pas permettre à la situation de s'embraser".
"Qu'un Président birman s'adresse ainsi à la population directement et parle d'extrémistes religieux visant clairement des moines bouddhistes, c'est du jamais vu en Birmanie".
Mais la chef de l'opposition Aung San Suu Kyi, souvent accusée ces derniers mois de ménager ses ambitions électorales, est plus silencieuse. Très discrète sur le sujet en 2012, elle ne s'est pas non plus exprimée sur les récentes émeutes.
"Il est temps que les leaders politiques relèvent le défi de peser sur l'opinion publique plutôt que de la suivre", s'impatiente Jim Della-Giacoma. La lauréate du prix Nobel de la paix "doit se préparer à prendre vivement et sans ambiguïté le parti de la paix et de la tolérance".