ou tout le gateau?
Le timing de la déclaration d’adoption de Zawahiri du front al-Nosra en Syrie, et l’allégeance prêtée par ce dernier à Al-Qaida n’a rien de fortuit. Tout en couronnant un fait accompli qui s’impose sur le terrain, il adresse des messages bien clairs à tous ceux qui ceux qui sont concernés par la crise syrienne.
Dans le contexte politique, ces déclarations interviennent après la désignation de Ghassan Hitto à la tête d’un certain gouvernement transitoire qui devrait prendre en main le contrôle des régions conquises par les miliciens à Alep et Idleb. Il faut dire aussi que le timing de cette désignation est lui-même suspect : elle est intervenue alors que les milices salafistes d’Al-Qaïda continuent d’assoir leur pouvoir dans les régions qu’elles occupent : tribunaux, administrations, milices de sécurité, voire même une armée dont les effectifs s’élèveraient à près de 12.000 miliciens.
Selon le chroniqueur du journal libanais Assafir, Mohammad Ballout, l’expérience d’al-Nosra représente une révision des mécanismes et du raisonnement d’Al-Qaïda en Irak. Le chef de cette milice, l’énigmatique Abou Mohammad Joulani semble « l’avoir transformé d’une nébuleuse mondiale sans terre ni base, en une terre et une base, en lignes d’approvisionnements, noms et institutions ».
Selon un sociologue occidental de retour des provinces d’Alep et d’Idleb, cité par Ballout, al-Nosra ainsi que les brigades salafistes combattantes et celles des Frères Musulmans ont pu créer des relations de clientélisme avec la population gravement paupérisée par la poursuite de la guerre. Surtout que le front dispose de sources de financement golfiques intarissables.
Sur le plan militaire, il a l’avantage d’avoir attiré dans ses rangs des dizaines de milices en action sur le terrain. Et ce en dépit de la volatilité de la loyauté des miliciens, surtout dans la province d’Idleb. Mais le caractère conservateur des syriens y serait toutefois pour quelque chose.
La milice d’Al-Qaïda est aussi parvenue à consolider sa popularité grâce à l’organisation fournie à la distribution des assistances à la population. Elle compte dans ses rangs des dizaines de cadres actifs qui entrent en contact avec des centaines de milliers d’habitants.
Elle a aussi cohabité avec l’influence des notables et de certaines forces locales incontournables.
Mais c’est surtout à travers les dispositifs législatifs qu’al-Nosra est parvenu à normaliser ses liens avec la société syrienne. Elle a confié leur administration aux civils, surtout qu’ils comptent en plus des tribunaux, une police et des prisons.
Ces dispositifs devraient s’unir sous la bannière d’un Conseil législatif juridique suprême, où le code religieux l’emporte sur le civil, et où deux religieux siègent au côté d’un juge expert en lois positivistes.
Mais les lois adoptées selon Ballout, sont celles dictées par le code pénal arabe unifié, mis au point par la Ligue arabe, en s’inspirant de la législation islamique, hormis ses peines.
Dans la pratique, estime Ballout, la milice al-Nosra semble moins enclin à imposer son extrémisme salafiste, non seulement parce qu’elle se trouve dans un environnement religieux, mais parce qu’elle est actuelement concurrencée par d’autres représentations religieuses de poids : en plus de l’Union des Ulémas du Levant, proche du martyr cheikh Bouti, il y a les disciples d’Oussama Rafii, sans oublier l’Union des Ulémas musulmans des Frères Musulmans.
A Alep, la rivalité devrait s’attiser avec ces deux dernières, surtout qu’elles se côtoient dans les régions conquises.
Les frictions se sont multipliés avec les milices de l’ASL, à Tal-Abiad dernièrement, rappelant les attaques et contre-attaques avec la milice Al-Farouk à Homs, et qui se sont terminées par l’élimination de cette dernière.
Un jour viendra où al-Nosra voudra faire seul la loi.
En attendant, en prêtant allégeance à Zawahiri, il déclare vouloir sa part du gateau. Ses destinataires étant toutes les autres forces de l’insurrection en Syrie, aussi bien politiques (se trouvant à l’étranger) que militaires en action le terrain (ASL), et qui ont pensé que les miliciens du front al-Nosra étaient venus en Syrie, pour mourir.
Dans le pays du Levant, Al-Qaida est en train d’instaurer son Etat.
Serait-ce un remaniement de sa stratégie, comme croient le deviner des analystes selon lesquels elle a tiré les leçons de l’Irak.
Ou est-ce l’aboutissement de sa longue lutte, depuis son déclenchement en Afghanistan, en passant par l'Irak, sans oublier ses batailles un peu partout ailleurs dans le monde islamique.
Dernièrement, des littératures religieuses diffusées sur les sites des jihadistes, évoquent des citations prophétiques dans lesquelles le pays du Levant occupe une place centrale.
De Paris où réside le journaliste d’AsSafir, il rapporte qu’aux yeux des Français, seul le renversement du président syrien compte. Le reste viendra après.
Entre temps, certains occidentaux avisés craignent non pas un Etat islamique en Syrie, mais le chaos.
Un chaos qui transforme ce pays en une base arrière d’un jihad mondial qui menace le voisinage israélien et les intérêts européens.
D'autant plus que les adversaires du projet occidentalo-sioniste n'attendent pas mieux que cela!