"le problème kurde ne sera pas résolu en liquidant la branche alaouite au sein du parti, au contraire"
Malgré la succession de différents gouvernements, l’idéologie qui domine au sein de l’état turc vacille entre deux tendances : une hostile aux Kurdes et l’autre anti-alaouite. L’ouverture aux Kurdes entamée par le parti au pouvoir, le parti pour la Justice et le Développement, n’a pas réussi à dissiper le sentiment d’animosité prédominant envers les Kurdes et les Alaouites.
Jusqu’à ce jour, les observateurs turcs ne peuvent pas déterminer les conséquences de la récente ouverture du gouvernement turc envers les Kurdes ni jusqu'où elle sera réceptive aux demandes kurdes. Ce dont on est sûr c’est qu'il y a des intentions de règlement de la question kurde.
Certains au sein du Parti des travailleurs du Kurdistan estiment que le parti de la justice et du développement n’a pas pour objectif à travers ces négociations de résoudre la question kurde, mais de dissoudre le Parti des travailleurs du Kurdistan, alors qu’il n’y a aucun indice qui laisse penser que la question alaouite sera résolue d’ici peu.
Or, après dix années au pouvoir, le parti de la justice et du développement n’a toujours pas d'explication à l'absence de progrès dans le dossier alaouite.
Preuve à l’appui : les récents incidents qui ont éclaté dans plusieurs villes turques comme la menace des jihadistes turcs de décapiter les Alaouites qui soutiennent le président syrien Bachar al-Assad dans certains quartiers de la ville d'Adana. La justice turque n’a pas réagi sous prétexte qu’il n’ y a pas de suspects ou d’ accusés. Ce qui renforce chez les Alaouites leur sentiment d’animosité et de non-confiance envers l'État : sentiment qui n’a cessé de persister depuis le règne du sultan Selim 1er jusqu’au règne du parti de la justice et du développement.
Fait marquant, l’obsession alaouite est toujours présente dans la tête des plus proches du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Notamment son conseiller Yalchin aq Dugan : une personnalité importante qui remplit bien le vide laissé par Ahmet Davutoglu qui s'est rendu au ministère des affaires étrangères.
Dans un de ses articles, publiés dans le quotidien Star, Dugan exprime tout haut ce que beaucoup de responsables turcs pensent tout bas.
«Le PKK est une organisation terroriste qui exploite la question kurde afin de lutter contre l'état pour défendre les Alaouites :depuis le début des négociations avec Oglan , certaines parties au sein du parti ont tenté de saboter les efforts de réconciliation » écrit le conseiller d’Erdogan.
Dugan indique que "la plupart des hauts-cadres du PKK font prévaloir leur affiliation alaouite à celle kurde, comme Jamil Bayik, Doran Qalqan, Mustafa Qarah So, Ali Haydar Qaytan et Rida Alton" .
« Ces derniers ont saboté les négociations d'Oslo il y a trois ans, et ils veulent saboter les négociations aujourd’hui, affirme Dugan, ajoutant qu’ «ils veulent le statu quo pour au moins deux ans et cherchent à faire échouer le Parti pour la Justice et le Développement :ce sont eux qui dirigent le parti ».
Dugan se réfère aux paroles de Mustafa Qara So, selon lesquelles "les Kurdes alaouites doivent défendre leur identité kurde et celle alaouite". Le conseiller d’Erdogan accuse tout autant le parti de Libération de gauche -Front révolutionnaire populaire, quand il dit que "cette organisation radicale de gauche a effectué ces dernières semaines un certain nombre d'opérations contre des cibles gouvernementales en faisant prévaloir son appartenance alaouite".
Ainsi, s’il y a de grands espoirs concernant l'actuel processus de négociations nos ressentiments sont tout autant élevés et persistants».
Cette sensibilité envers les alaouites du conseiller de M. Erdogan a été vivement critiqué par la chroniqueuse du quotidien turc Melliat, Aslin Aydin Tachbach .
« Une telle pensée est fondamentalement incorrecte, et même si elle existe, elle ne doit pas contaminer l’Etat. Le soulèvement du PKK est un soulèvement ethnique à l'encontre du modèle État-nation. Il s’agit d’un groupe de jeunes hommes qui combattent dans les montagnes non pas parce qu'ils sont alaouites, mais parce que leurs mères ont été privés de nommer leurs enfants de noms kurdes, parce que des villages kurdes ont été abandonnés et brûlés, parce que les villageois kurdes ont été forcés de manger des excréments humains et animaux » écrit Tchabach.
Et de poursuivre : «une analyse basée sur des questions doctrinales ne résout pas les problèmes, d’autant plus qu’il n’est pas vrai que les bases du PKK ou celle du parti de la paix et de la démocratie sont alaouites. A mon avis, même si la direction du PKK est bouddhiste, elle vivra les mêmes préoccupations et exigerait des garanties sur son retrait ».
En guise de conclusion, Tachbach se demande : « N’est-il pas vrai que parmi les noms les pus redoutés par l'opinion publique turque au sein du PKK est Bahoz Erdal, un sunnite ? N’est-il pas vrai que les groupes islamistes kurdes, y compris le Hezbollah turc sont les plus strictes sur la question kurde que le parti pour la paix et la démocratie kurde? Oglan n'est pas la cause à l'existence de la rébellion kurde, il est simplement sa conséquence. La cause est la marginalisation de 15 % des Kurdes du modèle de l'État - nation, fondé sur l'identité ethnique turque. Et donc, le problème kurde ne sera pas résolu en liquidant la branche alaouite au sein du parti, au contraire, cela risque d’affaiblir Oglan qui cherche une solution. La solution est dans une nouvelle constitution et un nouveau pacte social pour construire une nouvelle et puissante Turquie ».