Malgré sa tradition de tolérance, l’Indonésie glisse dangereusement dans l’intolérance religieuse .
Le pays musulman le plus peuplé au monde, avec 90% de ses 240 millions
d'habitants pratiquant l'islam, se radicalise de plus en plus, contre non seulement les musulmans chiites ou même les musulmans Ahmadis mais aussi contre les confessions chrétiennes, accusent les organisations des droits de l'homme.
Ainsi dans la ville de Bekasi, une église protestante a été récemment détruite sous le regard impuissant de ses fidèles. Et de l'autre côté de l'île de Java, environ 200 chiites vivent depuis près de dix mois dans un gymnase infesté de mouches, après avoir été chassés de leur village par une foule de sunnites, le courant islamique majoritaire en Indonésie, qui a tué l'un d'eux à coups d'épée.
Les chiites d’Indonésie représentent à peine un million de fidèles, soit une goutte d’eau par rapport aux 120 millions de musulmans sunnites que compte le pays. Et pourtant, fin 2011 déjà, une foule enragée s’en était prise à une communauté chiite à l’est de Java : maisons mises à sac, écoles incendiées et par-dessus tout l’imam local arrêté et condamné à deux années de prison pour blasphème. Il aurait, selon le procureur, défendu à travers ses sermons une interprétation hérétique de l’islam.
Car, au delà des violences sur le terrain, il existe un mouvement de fond initié par des groupes sunnites ultra-conservateurs. Ils entendent bannir tout simplement les chiites du paysage religieux indonésien malgré sa tradition de tolérance.
Jusqu’ici, le gouvernement a peu agi pour apaiser les tensions, par peur, disent les analystes, de paraître anti-musulman, ce qui pourrait braquer son électorat.
Mais les témoignages s’accumulent et les insultes, le harcèlement et le vandalisme à l'encontre des chiites redoublent ces derniers mois, de même que les attaques contre les chrétiens et autres minorités religieuses.
L'Institut Setara pour la démocratie et la paix, une ONG qui milite pour la défense des minorités religieuses, a dénombré 308 "incidents" touchant des religions minoritaires (agressions ou fermeture de lieux de culte par exemple)
durant le seul premier semestre de l'an dernier (derniers chiffres disponibles), soit une nette hausse par rapport à 2011 (543 cas sur l'ensemble de l'année), 2010 (502) ou 2009 (491).
Et depuis deux semaines , une vingtaine d'Ahmadis, une confession islamique jugée "déviante" par le courant majoritaire, les Ahmadis sont retranchés depuis deux semaines dans une mosquée encerclée par les autorités, reflet de l'intolérance religieuse croissante en Indonésie.
Le 4 avril, ils étaient quelques dizaines à s'adonner à la prière traditionnelle dans la petite mosquée de Bekasi, dans la banlieue de Jakarta, quand un impressionnant corps de police a fait irruption et a scellé le portail menant au bâtiment. Les autorités entendaient ainsi faire respecter un décret de 2008 qui interdit aux Ahmadis de faire du prosélytisme.
Les Ahmadis suivent les préceptes de Mirza Ghulam Ahmad qui s'est déclaré messie d'Allah à la fin du XIXe siècle, une hérésie pour les autres musulmans qui estiment que Mahomet est le dernier prophète.
La petite communauté avait jusqu'à présent pu vivre sa religion sans être trop inquiétée, protégée par la Constitution indonésienne qui garantit la liberté de culte.
Selon les Ahmadis, la faute en incombe aux islamistes radicaux qui dictent leur intransigeance aux autorités. Les Ahmadis pointent en particulier du doigt le Front des défenseurs de l'islam (FPI), très puissant gardien de l'orthodoxie réputé pour ses raids contre les bars ou pour jeter des sachets d'urine aux chrétiens contraints de prier en plein air après la destruction ou la fermeture de leur église.
Les Ahmadis "ont violé la parole d'Allah", estime le représentant local du FPI, Murhali Barda.
Ainsi, depuis le 4 avril, la police monte la garde autour de la mosquée, empêchant quiconque d'entrer. La vingtaine d'Ahmadis restant à l'intérieur pourraient en revanche sortir. Mais ils refusent de le faire, vivant nuit et jour dans des conditions très rudimentaires, tout en dépendant de nourriture que des amis leur font passer au-dessus des murs.
"Pourquoi nous traitent-ils comme des criminels alors que nous ne faisons que prier", enrage Rahmat Rahmadijaya, 33 ans, un des dignitaires de la mosquée. "Ils peuvent nous menacer et nous interdire mais nous n'avons pas peur. Jamais, nous ne renierons notre foi. Nous resterons dans la mosquée jusqu'à ce qu'ils la rouvrent", dit-il à l'AFP à travers une lucarne du portail noir de la mosquée, scellé par la police.
Selon les organisations des droits de l'Homme, le gouvernement n'ose pas affronter les radicaux sunnites et soutenir les minorités de peur de perdre en popularité, surtout alors que des élections sont prévues l'an prochain.
"Le gouvernement fait preuve de faiblesse quand il s'agit de faire appliquer la loi. Les islamistes radicaux se sont enhardis et souvent, ils font la loi", estime Bonar Tigor Naipospos, responsable adjoint de l'Institut Setara.
Les autorités démentent. "L'Indonésie fait preuve de clémence vis-à-vis des Ahmadis", assure un porte-parole de la présidence indonésienne, Teuku Faizasyah.
"Nous leur procurons des lieux de prière alors que, dans d'autres pays, ils sont totalement interdits", déclare-t-il, ajoutant que la fermeture de la mosquée de Bekasi "ne reflète pas les relations harmonieuses entre les différentes fois en Indonésie".
Les Ahmadis, qui comptent environ un demi-million d'adeptes en Indonésie, font régulièrement l'objet de brimades, voire d'agressions. En 2011, trois d'entre eux avaient été tués lors d'un lynchage dans l'ouest de Java.
Et depuis 2006, 115 Ahmadis vivent dans un abri délabré sur l'île de Lombok (est) après avoir été chassés de leur village.