24-11-2024 07:03 PM Jerusalem Timing

Les rapports sur l’utilisation d’armes chimiques, en Syrie ? Un air de déjà vu

Les rapports sur l’utilisation d’armes chimiques, en Syrie ? Un air de déjà vu

Y a-t-il un moyen d’échapper au théâtre des armes chimiques ? Robert Fisk

Tout d’abord, «les services militaires de renseignement» israéliens affirment que les forces de Bachar al-Assad ont utilisé / ont probablement utilisé / auraient pu utiliser / pourraient utiliser, des armes chimiques. Puis Chuck Hagel, le secrétaire américain à la Défense, déboule en Israël, pour promettre encore plus de puissance de feu aux militaires israéliens déjà sur-armés - en évitant toute mention de leur plus de 200 ogives nucléaires - et ensuite imbiber comme une éponge tous les «rapports» israéliens sur l’utilisation avérée/probable /possible, d’armes chimiques par la Syrie.

Alors le bon vieux Chuck retourne à Washington et dit au monde que «c’est une affaire sérieuse. Nous avons besoin de tous les faits». La Maison Blanche dit au Congrès que les agences américaines de renseignement, probablement les mêmes que les agences de renseignement israéliennes depuis que les deux côtés fonctionnent habituellement en tandem, ont des «degrés de confiance variables» dans l’information.

Mais la sénatrice Dianne Feinstein, présidente de la commission du renseignement au Sénat - qui a réussi à défendre les actions d’Israël, en 1996, après que celui-ci eut massacré 105 civils, principalement des enfants, à Qana, au Liban - annonce à propos de la Syrie qu’«il est clair que les lignes rouges ont été franchies et que des mesures doivent être prises pour empêcher l’utilisation [d’armes chimiques] à grande échelle». Et le plus éculé des clichés de la Maison Blanche - utilisé jusqu’à présent exclusivement pour traiter du développement probable/possible d’armes nucléaires par l’Iran - est, ensuite, mis en service : «Toutes les options sont sur la table».

Dans une société normale, les feux rouges devraient désormais clignoter, en particulier dans les salles de rédaction du monde entier. Mais non. Nous, les scribes, rappelons au monde que Obama avait dit que l’utilisation d’armes chimiques en Syrie serait un «changement des règles du jeu» - au moins les Américains admettent que c’est un jeu - et nos rapports confirment ce que personne n’a réellement confirmé. : l’utilisation d’armes chimiques. J’ai été approché, dans deux studios de télévision canadiens, par des producteurs qui brandissaient les mêmes titres. Je leur dis qu’à l’antenne je mettrai à la poubelle « leurs preuves ». Et soudain la question est supprimée de ces deux programmes... Non pas parce qu’ils ne veulent pas en parler - ils le feront plus tard - mais parce qu’ils ne veulent pas que quelqu’un puisse suggérer en direct qu’il puisse s’agir de montages de toutes pièces.

CNN n’a pas de telles inhibitions. Lorsque leur reporter à Amman est questionné sur ce que l’on sait sur l’utilisation d’armes chimiques par la Syrie, il répond : «Pas autant que ce le monde voudrait savoir ... le psychisme du régime Assad .... etc...» Mais a-t-on essayé ? Ou tout simplement a-t-on posé une question évidente, qui m’a été soumise par un homme des services syriens du renseignement à Damas la semaine dernière : «Si la Syrie peut causer infiniment plus de dégâts avec ses bombardiers MiG (ce que fait le régime) pourquoi devrait-on utiliser des produits chimiques ?» Et puisque tant le régime que ses ennemis s’accusent mutuellement d’utiliser de telles armes, pourquoi Chuck ne craindrait-il pas les rebelles, comme il craint la dictature d’Assad ?

On en revient toujours aux plus infantiles des clichés : que les États-Unis et Israël craignent que les armes chimiques d’Assad « tombent entre de mauvaises mains ». Ils sont effrayés, en d’autres termes, que ces produits chimiques puissent se retrouver dans l’arsenal des mêmes rebelles, en particulier, les islamistes, que Washington, Londres, Paris, le Qatar et l’Arabie saoudite soutiennent. Et si ce sont les «mauvaises mains», on peut présumer que les armes dans l’arsenal d’Assad sont dans les «bonnes mains». Ce fut le cas avec les armes chimiques de Saddam Hussein - jusqu’à ce qu’il les utilisent contre les Kurdes.

Maintenant, nous savons qu’il y a eu trois incidents spécifiques dans lesquels le gaz sarin [gaz innervant mortel dont la version actuelle a été mise en point par les britanniques en 1952 - N.d.T] a soi-disant été utilisé en Syrie : à Alep, où les deux côtés se sont mutuellement renvoyé l’accusation (les vidéos de l’hôpital proviennent en fait de la télévision d’État syrienne) ; à Homs, apparemment sur un très petite échelle, et dans la banlieue de Damas. Et, bien que la Maison Blanche semble avoir raté l’information, trois enfants réfugiés syriens ont été amenés à l’hôpital de la ville libanaise de Tripoli avec de profondes et douloureuses brûlures sur leurs corps.

Mais maintenant, apparaissent quelques problèmes. Des obus au phosphore peuvent infliger des brûlures profondes, et peut-être causer des malformations congénitales. Mais les Américains ne semblent pas indiquer que l’armée syrienne aitt utilisé du phosphore (qui est en fait un produit chimique). Après tout, les troupes américaines ont utilisé la même arme, dans la ville irakienne de Fallujah, où il y a, en effet, aujourd’hui, une explosion de malformations congénitales.

Je suppose que notre haine du régime Assad pourrait être plus crédible si nous étions horrifiés par les rapports sur la torture par la police secrète syrienne des prisonniers aux mains du régime. Mais il y a un problème là aussi : il y a seulement 10 ans, les États-Unis «restituaient» des hommes innocents, y compris, un citoyen canadien, à Damas pour y être interrogés et torturés par les mêmes policiers des services secrets. Et si nous mentionnons les armes chimiques de Saddam Hussein, il y a un autre petit problème : les composants de ces armes ignobles ont été fabriqués par une usine dans le New Jersey et expédiés à Bagdad par les États-Unis !

Ce n’est pas l’histoire qui prévaut dans nos salles de rédaction, bien sûr. Allez dans un studio de télévision, et vous les verrez tous lire les journaux. Rendez-vous dans le bureau d’un journal, et vous les verrez tous regarder la télévision. C’est osmotique. Et les titres sont tous les mêmes : la Syrie utilise des armes chimiques. Voilà comment fonctionne le théâtre.

Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.


Traduction : Info Palestine