La dernière fois que la planète a connu une concentration de plus de 400 ppm de CO2, c’était il y a entre 3 et 5 millions d’années durant l’ère du pliocène
Le changement climatique s'apprête à franchir un cap: le plus célèbre instrument de mesure de la concentration de CO2 dans l'air va bientôt atteindre les 400 ppm, niveau inégalé depuis des millions d'années et signe d'un réchauffement lancé sur une trajectoire inquiétante.
Le 29 avril, la concentration du principal gaz à effet de serre (GES) était de 399.50 parties par million (ppm) au-dessus du volcan Mauna Loa de Hawaï où des mesures sont effectuées depuis 1958, la plus longue séquence jamais enregistrée dans ce domaine.
Et le seuil des 400 ppm pourrait être atteint ce mois-ci, selon la Scripps Institution of Oceanography de San Diego qui collecte ces données connues comme "la courbe de Keeling", du nom du scientifique américain Charles Keeling à l'origine du projet.
Ce graphe est l'une des plus fameuses pièces à charge contre le rôle de l'homme dans le réchauffement du globe. Depuis les premières mesures, établies à 316 ppm, la courbe croit sans discontinuité. Jusqu'à la révolution industrielle et le recours massif aux énergies fossiles, ce taux n'avait pas dépassé les 300 ppm durant au moins 800.000 ans, selon des prélèvements dans la glace polaire.
"Urgence"
"Ce seuil de 400 ppm a le même type de signification qu'un indice boursier" qui dépasserait un niveau symbolique, explique à l'AFP Ralph Keeling, qui poursuit les travaux de son père. "Il est d'abord important pour la perception que les hommes ont du changement en cours. C'est un jalon", estime-t-il.
De fait, il ne s'agira alors que d'un taux journalier qui, quand la végétation aura repoussé et absorbera une partie du CO2, descendra à nouveau.
Pour le climatologue français Jean Jouzel, la valeur moyenne annuelle de 400 ppm "devrait être atteinte dans deux ou trois ans". "Mais ça n'empêche pas que ce soit très marquant de dépasser pour la première fois les 400 ppm", souligne-t-il.
Et pas n'importe où. Certes une telle valeur a déjà été dépassée en juin dernier au-dessus de l'Arctique, "mais l'intérêt de Hawaï, c'est que c'est une valeur moyenne pour l'hémisphère nord. C'est vraiment la série de référence", explique M. Jouzel.
Au point que la responsable de l'ONU Christiana Figueres a brandi cette semaine ces chiffres devant les délégations du monde entier réunies à Bonn pour reprendre les laborieuses négociations sur la lutte contre le changement climatique.
"Je vous accueille avec une inquiétude plus vive" et un "sens de l'urgence plus fort", a-t-elle lancé aux négociateurs qui doivent élaborer d'ici 2015 un accord qui engagerait tous les pays à réduire leurs GES.
L'objectif fixé par la communauté internationale est de contenir le réchauffement à 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels, seuil au-delà duquel les scientifiques mettent en garde contre un emballement du système climatique avec son cortège d'évènements extrêmes.
Or, 400 ppm de CO2 met déjà la planète sur la trajectoire d'une hausse moyenne de 2,4 degrés, selon le dernier rapport des experts de l'ONU sur le climat (Giec).
Au rythme actuel "on devrait atteindre une valeur de 450 ppm vers 2040", indique Jean Jouzel. Soit une hausse du thermomètre autour de 3°C.
Et les perspectives sont sombres: non seulement la consommation énergétique mondiale s'envole, mais on émet aujourd'hui toujours autant de CO2 pour chaque unité d'énergie produite qu'en 1990, selon l'Agence Internationale de l'Energie.
La dernière fois que la planète a connu une concentration de plus de 400 ppm de CO2, c'était il y a entre 3 et 5 millions d'années durant l'ère du pliocène. La température était de 3 à 4 degrés de plus qu'aujourd'hui et le niveau des mers cinq à 40 mètres plus haut, selon la Scripps Institution of Oceanography.