Pour Oraib Rantaoui, directeur du Al-Quds Center for Political Studies, les récents affrontements ont atteint un niveau sans précédent.
Les tribus jordaniennes, colonne vertébrale du régime du régime hachémite, exercent leur influence jusque sur les campus où leurs rivalités ont récemment provoqué des violences meurtrières menaçant le système d'enseignement supérieur dans le pays, préviennent des experts.
Les derniers incidents ont eu lieu en avril à l'Université du roi Hussein ben Talal à Maan (sud): des affrontements armés ont fait quatre morts et plus de 25 blessés, provoquant une vaste polémique et la fureur du roi.
"Nous ne pouvons pas rester silencieux au sujet de cette violence et des actions illégales. Nous ne pouvons pas les accepter", a déclaré le roi Abdallah
II aux parlementaires et aux ministres, réclamant que l'Etat de droit soit "réinstauré d'une manière ferme, courageuse et transparente, sans clémence ni favoritisme".
Jeudi, cinq hommes, accusés d'avoir participé aux violences, ont été mis en examen pour émeutes, possession d'arme automatique et "association de malfaiteurs".
"Plus de 10% des 255.000 étudiants du pays sont impliqués dans ce type de violences, qui nuisent à l'enseignement pour les 90% restant", estime Hussein Khazaai, sociologue à la Balqa Applied University.
En 2012, 80 rixes violentes ont été signalées sur les campus du pays, contre 31 en 2010, selon M. Khazaai.
"Certains étudiants gardent des armes dans leur voiture, en cas de bagarre.
De petites choses créent des problèmes, et ensuite les familles et les tribus s'en mêlent, générant un conflit bien plus important", explique-t-il .
Les tribus représentent près de 40% de la population jordanienne, et leur loyauté envers la famille royale a souvent été vitale pour la stabilité du pays au cours du siècle passé.
Mais en contrepartie, "les étudiants de certaines tribus ou origines sont admis et reçoivent des bourses grâce à un système élaboré de discrimination positive (...) ouvrant les portes des universités nationales à des étudiants d'un niveau académique bien inférieur", explique Elizabeth Buckner, qui prépare une thèse d'éducation comparée à l'Université de Stanford.
"Au-dessus des lois"
Les violences sur les campus "sont surtout dues à des rivalités tribales, exacerbées par l'influence des tribus dans les politiques nationales d'admission et dans les décisions administratives au sein des universités", explique-t-elle dans un article publié dans Sada, un journal en ligne.
Pour elle, la situation souligne aussi "une tension plus générale au sein du système éducatif entre d'une part le désir des universités d'être modernes et égalitaires et d'autre part la pression tribale, qui permet parfois à des personnes d'échapper aux règles bureaucratiques".
Mais pour Oraib Rantaoui, directeur du Al-Quds Center for Political Studies, les récents affrontements ont atteint un niveau sans précédent.
"L'Etat n'a pas réussi à soumettre tout le monde à l'Etat de droit. Des pans importants de la société pensent qu'ils sont au-dessus des lois. Cela a renforcé l'identité tribale au détriment de l'identité nationale", explique-t-il .
Comme d'autres experts, M. Rantaoui redoute que des milliers d'étudiants ne délaissent les universités de Jordanie.
"Le gouvernement n'agit pas assez pour empêcher ces problèmes de prendre de l'ampleur, en s'attaquant à leurs causes et en punissant leurs auteurs, parce qu'il est dans le déni", dénonce Fakher Daass, un responsable d'une organisation de défense des droits des étudiants.
Pour Moussa Chteioui, directeur du Centre d'études stratégiques de l'Université de Jordanie, il faut une réforme d'ensemble de la situation économique et sociale du pays, pour donner des perspectives à la jeunesse.
Les étudiants "ne voient pas de lumière au bout du tunnel. L'Etat doit agir vite, en commençant par réformer l'ensemble du système éducatif", prévient-il.