Plus de 2.000 agents du Mossad opèrent au sein des phalanges de combattants étrangers contre le régime syrien. La plupart sont arabes ou tchétchènes.
En d’autres termes, après plus de deux de bouleversements, de troubles et de conflits affectant la région connue sous l’acronyme US de MENA (Middle-East and North Africa), le plan de remodelage de cette région centrale du monde a débouché sur une véritable guerre d’usure entre la Syrie et Israël autour du plateau stratégique du Golan, occupé et annexé par Israël.
Rupture d’un statu quo vieux de 38 ans. Et retour à une situation similaire à celle qui prévalait au Levant en 1974. Un an à peine après la fin de la quatrième guerre israélo-arabe d’octobre 1973.
L’état-major de l’armée syrienne de l’époque ne voulait pas s’avouer vaincu. Déçus par ce qu’ils considèrent jusqu’à aujourd’hui par le jeu trouble de l’Egypte de Sadate, voir sa trahison (les généraux syriens se battaient avec acharnement pour gagner et non pas pour négocier comme l’ont fait les égyptiens dixit Daoud Rajha, l’ex-ministre syrien de la Défense, assassiné le 18 juillet 2012), les syriens s’engageront alors dans une guerre d’usure contre Israël avec l’appui de l’Union soviétique et de pays alliés comme Cuba. Cette guerre ne dura cependant pas et les deux pays cessèrent les hostilités tout en restant techniquement en guerre jusqu’à aujourd’hui.
La concentration des forces israéliennes près des frontières avec le Liban et la Syrie (ce que Tel-Aviv appelle le front Nord) a précédé de peu le Printemps arabe et a été perçue comme une volonté de revanche sur le Hezbollah libanais avec lequel Israël a eu maille à partir en juillet 2006. En réalité, les stratèges israéliens préparaient depuis longtemps une guerre avec l’Iran et dans cette optique, il fallait isoler Téhéran de ces deux principaux alliés au Levant: la Syrie et le Hezbollah. La Syrie a été considérée comme le maillon faible de cet axe qui ne dit pas son nom.
Pour rappel, la Syrie a évité d’extrême justesse d’être envahie par les forces américaines qui venaient juste de prendre Bagdad d’assaut en 2003. Ce pays a toujours été dans le collimateur des néoconservateurs US et des innombrables lobbies de soutien à Israël aux Etats-Unis d’Amérique et en Europe, notamment en France depuis la présidence de Sarkozy.
En Péninsule arabique, le régime de Damas est honni pour des raisons confessionnelles. Les origines Alouites de la famille du président Al-Assad et son alliance avec l’Iran "chiite" sont perçues comme une menace suprême qu’il faut éradiquer.
Après avoir évité une démocratisation aéroportée à l’irakienne en 2004, La Syrie participe activement à la guerre de juillet 2006 entre le Hezbollah et Israël, au cours de laquelle le Hezbollah parvient à détruire des chars Mirkava de l’arme blindée israélienne et à atteindre des cibles sensibles en profondeur avec ses roquettes et missiles. Auparavant, la Syrie avait fait face à une formidable campagne de dénigrement et des pressions croissantes pour qu’elle retire ses forces du Liban où elles sont intervenues dès 1976. L’assassinat en 2004 de l’ex-premier ministre libanais Rafik Al-Hariri dans un supposé attentat à la bombe, mais plus probablement suite à une frappe de drone (thèse jamais vérifiée) en fut l’élément déclencheur.
Des tractations secrètes entre Damas et Israël ont lieu via plusieurs intermédiaires, notamment le grand ami turc qui allait se révéler un peu plus tard comme le plus acharné des ennemis de la Syrie. On exige de Damas de renoncer à son "partenariat stratégique" avec la république islamique d’Iran et de cesser son soutien au Hezbollah. Le Qatar a également mené trois médiations dans ce sens. Non sans des incitations financières et des opportunités d’ouverture diplomatiques assez importantes. Le Président Bachar Al-Assad est alors invité par Sarkozy à une cérémonie du 14 juillet à Paris.
En vain.
Le discours d’Obama au Caire en 2009 laisse entrevoir un changement radical de la politique étrangère US dans le monde musulman. C’était plutôt le signal de l’adoption d’une nouvelle approche. Les guerre d’Afghanistan et d’Irak ont ruiné les Etats-Unis et profondément nui à l’économie des pays de L’OCDE.
A l’approche du "Nous allons vous ramener à l’âge de pierre (à coups de bombes et de daisy cutters cela s’entend)" s’est substituée une nouvelle approche plus subtile. L’ingénierie du chaos appliqué à l’échelle géopolitique. Une amélioration des techniques des révolutions colorées adaptées à l’humus local et propagées à grands coups de slogans issus du marketing ciblé via les réseaux sociaux.
En parallèle, les forces spéciales jouaient un rôle primordial en arrière-plan. La déliquescence, l’incurie, la mauvaise gestion et l’impopularité de l’ensemble des régimes arabes rendait la manipulation assez aisée. Il fallait s’appuyer sur l’élément le plus persécuté par ces Etats: les forces du radicalisme islamiste. Des années durant, les Etats-Unis pressaient les pays arabes pour qu’ils combattent le terrorisme. L’ironie du sort a voulu que les Etats-Unis utilisent ce dont il ordonnait de combattre à ses fins géopolitiques pour un remodelage en profondeur de la région afin d’instaurer une zone de pseudo-Etats faibles ouverts au libre-échange néolibéral et n’ayant plus de griefs contre Israël ou le sionisme.
Les premiers pays arabes à en faire les frais sont deux solides alliés des Etats-Unis et des pays du Golfe arabo-persique (quoique Ryad ne pardonnera jamais à Obama le lâchage de Moubarak) avant de se tourner contre les pays arabes les plus rétifs ou les plus hostiles à l’égard de Tel-Aviv: la Libye et la Syrie. Si le changement de régime en Libye s’avère un peu facile, avec l’appui de l’Otan et, pour la première fois, la mise en avant de la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne comme principaux sous-traitants des Etats-Unis et d’Israël, le cas de la Syrie s’avère infiniment plus problématique.
Contrairement à la Libye de Mouammar Kadhafi qui n’avait plus d’armée ou d’allié régionaux ou internationaux, la Syrie dispose de solides alliances stratégiques. Plus encore, elle est en première ligne avec le commanditaire secret du plan de remodelage.
Son armée, assez modeste comparativement aux normes occidentales, est cependant bien organisée et dispose de l’expérience de plusieurs conflits. Ses forces ont participé aux guerres israélo-arabes. Elle a été la principale force organisée au Liban durant plus d’une décennie. Elle a défié la Turquie sous dictature militaire tout le long des années 70 et 80. Enfin l’armée syrienne a bien observé ce qui s’est passé en Irak voisin sous occupation US. Non sans en payer le prix à plusieurs reprises. Nous avons tous cru au début de la révolte en Syrie, partie de Deraa, non loin des confins frontaliers avec la Jordanie (Sud de la Syrie), que l’armée syrienne ne pouvait tenir plus de 18 mois en avançant des raisons économiques. Nous avions eu tort. La Syrie n’est pas seule. Dans ce conflit qui dure depuis le 15 mars 2011, l’Iran y a engagé sa survie économique. Pour Téhéran, c’est une guerre par procuration.
La Russie et la chine, échaudés par l’expérience libyenne et ses très graves dérapages incontrôlés, veillent à ce que cette expérience malencontreuse ne s’y répète plus jamais. Plus concrètement, un changement de régime en Syrie produira un chaos favorable pour la destruction du Liban et une attaque contre l’Iran. La chute de l’Iran compléterait la partie de jeu d’échec que poursuivent les grandes puissances tout le long d’un arc de crise s’étendant du Turkestan chinois à l’Atlantique, en épousant les trajets énergétiques les plus importants. La chute de l’Iran mettrait à nu le flanc de la Russie et menacerait la Chine. D’où les positions adoptés par les uns et les autres.
Pour le moment, ce conflit a eu de graves répercussions économiques sur la Jordanie, l’Arabie Saoudite, la Turquie, l’Irak et Israël. On tenta les mêmes méthodes éprouvées ailleurs. Campagnes médiatiques intenses, black-out, manipulations, utilisation des fatwas religieuses, opérations secrètes, infiltrations, sabotages, envoi d’extrémistes religieux se prévalant de l’islamisme militant de plus d’une quarantaine de pays avec un nette prédominance de tchétchènes, de jordaniens, de tunisiens et de libyens. On évoque le chiffre de 50.000 à 80.000 "volontaires" étrangers venus faire la guerre au "régime impie et apostat" de Damas. La Syrie est décrétée par des pseudo-clercs religieux saoudiens et égyptiens comme une terre de "Djihad" à "nettoyer". La Turquie sert de base de transit. Des forces US stationnent en Jordanie et en Turquie tandis que les forces spéciales de plusieurs pays européens dont un que sa Constitution interdit d’envoyer des troupes en dehors de son territoire s’activent au Liban, en Turquie, à Chypre, en Géorgie, en Bulgarie, en Arabie Saoudite et au Qatar. La machine de propagande tourne en branle.
L’armée syrienne dont la doctrine de base est la lutte asymétrique contre Israël fait face à une violente guérilla armée jusqu’aux dents. Pour Damas, l’ennemi est connu mais se cache. Les erreurs stratégiques de Tel-Aviv ou plutôt son impatience font qu’il se dévoile en plein jour. Changement de cap. La guerre est désormais dirigée sur le plateau du Golan. Pour cela il faut dégager la province centrale de Homs, réinvestir le Sud et créer un chaos défavorable à la Turquie d’Erdoğan sur son flanc méridional en remettant la question kurde.
Fahd Al-Freij, l’actuel ministre syrien de la défense a toujours été favorable à une lutte sans merci contre Israël. En sunnite, il n’a jamais admis que son armée se batte contre ses propres citoyens mais écrasait volontiers les milliers d’étrangers venus répandre la terreur dans son pays. Damas rend un précieux service à des pays comme la Tunisie, la Libye, la Jordanie ou l’Arabie Saoudite (tous des pays très alliés de Washington) en éliminant des centaines de leurs terroristes.
L’entrée en lice du Hezbollah libanais répondait à cet impératif stratégique: dégager les confins syro-libanais pour rouvrir le front du Golan.
C’est bien calculé. L’enjeu du Golan est immense: celui qui le contrôle, a le contrôle de tout le Levant. Israël frappe. Sans modération comme à son habitude. Mais cela nuit à son image et détruit le mythe d’une révolution. Damas menace. Tel-Aviv menace également. On fait appel à de vieilles connaissances. Le Front populaire de libération de Palestine. On met sur place des milices chargées de la guerre asymétrique au Golan.
De l’autre côté, l’armée israélienne met en place des hôpitaux de campagne aux blessés de la rébellion syrienne, leur fournit une aide logistique, des informations, des roquettes. Mieux, des commandos israéliens et des unités de reconnaissance des Golanis appuient les rebelles. Des drones israéliens antiradars détruisent des sites de surveillance de l’armée de l’air syrienne. Plus de 2.000 agents du Mossad opèrent au sein des phalanges de combattants étrangers contre le régime syrien. La plupart sont arabes ou tchétchènes. Certains observateurs assistent, médusés, à une alliance contre-nature entre extrémistes islamistes et sionistes. Cette implication trop visible devient bruyante et gênante. Même pour le bouillant Netanyahou qui ordonne à ses ministres de s’abstenir formellement d’émettre des déclarations sur la Syrie. Mais les jeux sont faits.
Un obus lancé par le FPLP palestinien à partir de Syrie atterrit sur le mont Hermon. Ce n’est pas la première fois mais c’est la première fois qu’un groupe militant palestinien brise le barrage du silence entourant la plupart des frontières israéliennes depuis trente ans. Des échanges de tirs sont signalés de part et d’autres.
C’est la guerre d’usure. Que va faire Tel-Aviv? S’adapter à cette nouvelle donne ou tenter de préserver le statu quo? Déclencher une guerre régionale avec un risque avéré d’embrasement généralisée?
Dans tous les cas, Israël devra payer le prix des erreurs stratégiques d’une équipe dirigeante aveugle qui se dirige tout droit vers un mur. Encore un autre. Invisible celui-ci et nettement plus dur.
Wissem Chekkat
Source Alterinfo