Plus de 90 manifestations dans 48 villes. Bilan provisoire: 2 tués et plus d’un millier de blessés.
Des milliers de manifestants célébraient leur victoire à Istanbul, dans la nuit de samedi à dimanche, après le retrait de la police de la place Taksim, le coeur de la révolte, ordonné par le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan.
Plusieurs organisations des droits de l'Homme ont dénoncé les violences de la police et Amnesty International a affirmé qu'il y avait eu deux morts et plus d'un millier de blessés, - des chiffres qui n'ont pas été confirmés de source officielle.
Les pays alliés occidentaux, les Etats-Unis et le Royaume Uni ont appelé le gouvernement turc à la retenue, et des centaines de personnes ont manifesté samedi soir à New York pour exprimer leur soutien aux protestataires en Turquie.
Les affrontements à Istanbul et dans d'autres villes ont fait en deux jours 79 blessés, dont 53 civils et 26 policiers, a indiqué dans la soirée le ministre de l'Intérieur, Muammer Guler.
La police a interpellé 939 manifestants au cours de plus de 90 manifestations survenues dans 48 villes, a précisé le ministre.
Confronté à l'un de ses plus importants mouvements de contestation depuis l'arrivée de son parti au pouvoir en 2002, le Premier ministre Erdogan a ordonné aux forces de l'ordre de se retirer en milieu d'après-midi de la place et du petit parc Gezi, dont la destruction annoncée a lancé la révolte.
Immédiatement, des milliers de personnes ont envahi les lieux dans une immense clameur de victoire en défiant le chef du gouvernement aux cris de:
"Nous sommes là, Tayyip. Où es-tu ?". A la nuit tombée, la place Taksim était toujours noire de milliers de personnes qui chantaient et dansaient avec l'intention d'y rester toute la nuit.
Quelques heures avant ce repli, M. Erdogan avait pourtant fermement assuré que la police resterait sur la place Taksim "aujourd'hui" et "encore demain" car elle "ne peut pas être un endroit où les extrémistes font ce qu'ils veulent".
Sur le même ton, il avait sommé les manifestants de cesser "immédiatement" leur mouvement et assuré que son gouvernement maintiendrait le projet d'aménagement urbain contesté de la place qui a mis le feu aux poudres.
Saisi par ces opposants, un tribunal administratif d'Istanbul a suspendu vendredi la partie du projet qui prévoit la reconstruction d'une caserne de l'époque ottomane, qui a cristallisé la colère des manifestants.
Après quelques heures de répit, les affrontements qui ont embrasé le centre de la mégapole turque vendredi ont repris samedi en milieu de matinée et se sont poursuivis sporadiquement jusqu'au retrait de la police.
A plusieurs reprises, la police a fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau autour de la place Taksim pour disperser des petits groupes qui ont riposté par des jets de pierre, ont constaté des journalistes de l'AFP.
"Nous étions assis là, près du square, et nous lisions un communiqué de presse quand la police est venue vers nous avec des véhicules anti-émeute, nous aspergeant de gaz lacrymogènes", a déclaré un manifestant, Burak Ozbey, 34 ans.
Il a indiqué que son amie avait dû subir deux opérations au cerveau après avoir été frappée vendredi par une cartouche de gaz, et qu'elle était toujours dans un état critique.
D'autres échauffourées avaient été signalées un peu plus tôt dans un autre quartier de la ville, Besiktas.
Le mouvement est parti vendredi à l'aube avec l'intervention musclée de la police pour déloger quelques centaines de militants qui occupaient depuis trois jours le parc Gezi, sur la place Taksim, pour y empêcher le déracinement de 600 arbres dans le cadre d'un projet d'aménagement urbain très contesté.
Ameutés par les réseaux sociaux, les militants associatifs ont afflué pour prêter main forte aux manifestants et surtout dénoncer la politique du gouvernement islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002.
Critiques
"Ce règne autoritaire doit cesser", a déclaré samedi à l'AFP Sermin Erdemci, un employé de banque de 37 ans, "on ne peut pas réduire les masses au silence, nous voulons vivre dans une Turquie laïque".
Si le revenu par habitant a triplé en Turquie depuis 2002, M. Erdogan est accusé de dérives autoritaires et de vouloir "islamiser" la société turque. Le récent vote d'une loi restreignant la consommation et la vente d'alcool a suscité l'ire des milieux libéraux.
Dès vendredi soir, la contestation partie d'Istanbul s'est propagée à d'autres villes du pays, comme Izmir (ouest), Antalya (sud) ou Ankara. Samedi encore, des incidents ont opposé dans la capitale turque la police à des manifestants qui défilaient aux cris de "Dictateur démission". Plusieurs personnes, manifestants ou policiers, ont été blessées, selon un photographe de l'AFP.
L'opposition politique a pris le relais de ces critiques en s'affichant avec les protestataires. "Nous voulons la liberté et la démocratie dans notre pays", a lancé samedi le président du Parti républicain du peuple (CHP) Kemal Kiliçdaroglu.
Au sein même du pouvoir, plusieurs voix se sont élevées samedi pour dénoncer la réaction disproportionnée de la police.
Peu avant le repli de la police, le président turc Abdullah Gül lui-même a lancé samedi un appel au "bon sens" et au "calme", jugeant le niveau de la protestation "inquiétant".
"Dans une démocratie, les réactions doivent être exprimées (...) avec bon sens, avec calme et, en retour, les dirigeants (du pays) doivent déployer plus d'efforts pour prêter une oreille attentive aux différentes opinions et inquiétudes", a-t-il ajouté.
Avant le président turc, le vice-Premier ministre Bülent Arinç avait présenté ses "excuses" pour les événements d'Istanbul. "Plutôt que de lancer du gaz sur des gens qui disent 'nous ne voulons pas de centre commercial ici' (...) les autorités auraient dû les convaincre et leur dire que leurs inquiétudes étaient partagées", a-t-il ajouté.
Face à ces réactions, le Premier ministre lui-même a concédé que la police avait agi dans certains cas de façon "extrême". "Il est vrai qu'il y a eu des erreurs, et des actions extrêmes dans la réponse de la police", a-t-il dit, ajoutant qu'une enquête avait été ordonnée par le ministère de l'Intérieur.