Erdogan quitte le pays pour une tournée de quatre jours au Maghreb, et qualifie les protestataires de "groupes marginaux". La Syrie conseille à ses ressortissants d’éviter d’aller en Turquie et appelle au départ d’Erdogan.
Les manifestants turcs restaient déterminés lundi à poursuivre pour la quatrième journée consécutive leur mobilisation contre le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui, sûr de lui, a quitté le pays pour une tournée de quatre jours au Maghreb.
Au terme d'une nouvelle nuit de violences entre la police et les manifestants à Istanbul, Ankara et Izmir (ouest), un calme relatif semblait revenu lundi matin dans le pays, premier jour de travail depuis les premiers affrontements sérieux de vendredi dans la mégapole de plus de 15 millions d'habitants. Les protestataires ont appelé à se rassembler en fin de journée [ce lundi] sur la place Taksim.
Mais les manifestants ont promis de maintenir la pression sur le gouvernement. "C'est devenu un mouvement (de contestation) contre le gouvernement qui s'immisce de plus en plus dans notre vie privée", a expliqué Hamdi, rencontré dimanche soir par l'AFP à Ankara en plein "concert" de casseroles, "nous allons continuer".
Les protestataires des groupes marginaux, selon Erdogan
Lundi encore, juste avant de quitter la Turquie pour une tournée de quatre jours dans le Maghreb commençant par le Maroc, le chef du gouvernement a fait peu de cas du défi opposé par les manifestants.
Le Premier ministre a reconnu que des "erreurs" avaient été commises par la police et a promis des sanctions contre ses excès. Mais il a répété qu'il mènerait le projet d'aménagement urbain contesté de la place Taksim jusqu'à son terme.
Erdogan n’a pas hésité à défier les manifestants les critiquant sans détour. "Ce sont des groupes marginaux qui manifestent contre le gouvernement, a déclaré Erdogan, dimanche, assimilant les manifestants à de simples "casseurs" ou "menteurs".
"Il a également rappelé qu'il avait été élu démocratiquement avec plus de 50 % des voix et que lui aussi pouvait rassembler des centaines de milliers de partisans s'il le souhaitait",
Gül appelle lundi les manifestants au calme
Sur un ton plus conciliant, le président turc Abdullah Gül a lui appelé lundi les manifestants au calme et pris, une fois encore, le contrepied du chef du gouvernement.
"Une démocratie ne signifie pas seulement (une victoire) aux élections (...) Il est tout à fait naturel d'exprimer des opinions différentes (...) par des manifestations pacifiques", a dit M. Gül à la presse, ajoutant que "les messages de bonne volonté (des protestataires) ont bien été reçus".
Depuis vendredi, la protestation d'une poignée de militants associatifs contre le projet de destruction d'un parc public d'Istanbul a peu à peu gagné l'ensemble de la Turquie.
Accusé de dérive autoritaire Erdogan est aujourd'hui confronté à un mouvement de contestation d'une ampleur inédite depuis l'arrivée au pouvoir de son Parti de la justice et du développement (AKP) en 2002.
"Tayyip démission !"
Dans la nuit de dimanche à lundi, de violents incidents ont à nouveau opposé la police et des milliers de manifestants à Istanbul, autour des bureaux de M. Erdogan, ainsi qu'à Ankara, dans le quartier résidentiel de Kavaklidere, où les protestataires scandaient "personne ne veut de toi Tayyip !".
Dimanche, la police turque a également dispersé sans ménagement plusieurs manifestations à Izmir (ouest), Adana (sud) ou encore Gaziantep (sud-est), faisant à chaque fois de nombreux blessés. De nombreux manifestants cités par les télévisions turques ont dénoncé la brutalité des forces de l'ordre.
Les violences des trois derniers jours ont fait plus d'un millier de blessés à Istanbul et au moins 700 à Ankara, selon les organisations de défense des droits de l'Homme et les syndicats de médecins des deux villes.
Ces chiffres n'ont pas été confirmés par les autorités, le ministre de l'Intérieur Muammer Güler évoquant dimanche un bilan de 58 civils et 115 policiers blessés pendant les 235 manifestations recensées depuis mardi dernier dans 67 villes.
Selon M. Güler, la police avait interpellé dimanche plus de 1.700 manifestants dans tout le pays, pour la plupart rapidement relâchés.
Coeur symbolique de la révolte, la place Taksim d'Istanbul a retrouvé un semblant de normalité, à peine encombrée des débris du rassemblement de la veille.
La plupart des commerces ont rouvert leurs portes mais des barricades bloquaient toujours les rues environnantes, signe de la détermination des protestataires à ne pas se laisser reprendre le contrôle de la place par les forces de l'ordre, qui l'ont désertée samedi sur ordre du gouvernement.
La brutalité de la répression a suscité de nombreuses critiques, aussi bien en Turquie que dans les pays étrangers.
Au sein même du pouvoir, plusieurs voix dissonantes se sont fait entendre pour regretter la brutalité des interventions policières. Comme le vice-Premier ministre Bülent Arinç, qui a prôné le dialogue "plutôt que de tirer du gaz sur des gens".
Damas appelle au départ d'Erdogan
Les ministres syriens ont accusé Ankara de "terroriser" sa population et ont décrit le mouvement de protestation comme le "vrai Printemps".
"C'est une révolution pure car ni le Qatar ni Israël ne sont impliqués", selon la télévision syrienne, qui accuse régulièrement ces deux pays de soutenir les insurgés syriens.
Dimanche, le ministère des Affaires Etrangères a "conseillé" aux Syriens d'éviter de se rendre en Turquie "à cause de la détérioration de la situation sécuritaire".
Samedi, le ministre de l'Information Omrane al-Zohbi a appelé à la démission de M. Erdogan.
"Le fait qu'il empêche les manifestations pacifiques prouve qu'Erdogan est déconnecté de la réalité. Le peuple turc ne mérite pas une telle sauvagerie", a-t-il dénoncé.
Zoabi a également appelé la Turquie à "libérer tous les prisonniers de conscience" et en estimant que "rien ne justifiait l'arrestation d'un si grand nombre de manifestants pacifiques".
Pour Damas, les images de violences en provenance d'Ankara représentent une occasion de rendre la pareille au gouvernement d'Ankara.
La Turquie est le principal appui à la rébellion, et la longue frontière commune permet le passage de rebelles et de munitions.
Une grande partie du nord syrien est d'ailleurs hors de contrôle du gouvernement, qui accuse son voisin de piller ses usines dans la région d'Alep.
Les médias syriens assurent même que le projet d'aménagement urbain contesté, à l'origine de la révolte à Istanbul, vise à construire un centre commercial "financé par des investisseurs qataris et la famille d'Erdogan".