Il estime que deux projets s’affrontent: l’islamique et le laïc
Nous sommes témoins de l’effondrement de Sykes-Picot, a affirmé l’intellectuel et linguiste américain Noam Chomsky dans un entretien accordé au journal libanais al-Akhbar, dans la capitale libanaise où il est invité par l’Université américaine pour participer aux remises des diplômes de ses étudiants.
Ceci constitue d’après lui un phénomène très intéressant, un siècle après l’instauration de cet accord franco-britannique qui a imposé les frontières de vigueur entre les différents pays arabes du Moyen orient, permettant l’implantation de l’entité sioniste.
Toutes les frontières illégitimes
Chomsky estime que ces frontières n’ont rien de légitimes, et qu’elles ont été imposées uniquement pour servir les intérêts coloniaux, ce qui est d’ailleurs de vigueur partout dans le monde.
« Il est très difficile de voir des frontières qui sont justifiées de façon logique. Même entre le Mexique et les Etats-Unis, ou entre les Etats-Unis et le Canada, ces frontières ont provoqué beaucoup de violence et de recours à la force ; ... ; tout ceci est dû au fait que ces frontières imposées par l’impérialisme n’ont rien à voir avec les peuples ; elles ne font que couper les liens entre ces populations. Elles créent des lignes qui n’ont aucun sens. Elles séparent le Pakistan et l’Afghanistan qui constituent les frontières les plus controversées. Nous souffrons tous de ces frontières impérialistes imposées qu’il faudrait à tout prix éliminer ».
La Syrie se démembre
S’agissant de la situation en Syrie, Chomsky estime qu’il est difficile d’imaginer ce qui s’y passe, s’il en reste quelque chose. « La Syrie est en passe d’être démembré. Les régions kurdes disposent désormais d’une autodétermination qui tisse ses liaisons avec le nord kurde de l’Irak et compte s’étendre vers l’est de la Turquie. Il est difficile de prévoir ce qui se passera dans les autres pays », poursuit-il.
À la question de savoir si les peuples allaient eux-mêmes choisir leur frontière, l’intellectuel tempère : « j’aurais voulu qu’il en soit ainsi. Mais les choses n’avancent pas de la sorte. Peut-être un jour. Mais pas aujourd’hui », a-t-il répondu.
Et Chomsky de rappeler : « j’ai dit le mois de mars passé que la Syrie se dirige vers le suicide. J’en ai appelé aux négociations entre les différentes parties ». Il considère que l’occasion fournie est toutefois très réduite. « La Russie soutient toujours le régime avec les armes. En même temps, elle exhorte tous les antagonistes vers les pourparlers. ..Quant aux Etats-Unis, qui prennent généralement les mauvaises décisions.... Ils sont toujours réticents quant à armer l’opposition et reste attachés à leur position et soutiennent les négociations ».
Obama ne va pas armer l’opposition syrienne
Concernant l’appel du président américain Barak Obama en faveur de l’armement de l’opposition, Chomsky croit que les Etats-Unis ne fourniront pas l’armement voulu.
Hezbollah : le meilleur choix est mauvais
Interrogé sur l’implication du Hezbollah dans le conflit syrien, il a répondu : « ils se trouve dans une situation difficile. Si les rebelles gagnent en Syrie, cela sonnera sa fin. Son intervention a sa logique. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur choix. .. Le choix le moins mauvais n’est pas un bon choix. C’est-à-dire la non-ingérence, qui pourrait provoquer sa destruction ».
Concernant l’entité sioniste, Chomsky signale qu’elle a pris une décision existentielle en 2011 lorsque l’Egypte lui a proposé un accord de paix total, sans passer par les droits du peuple palestinien. Une paix totale en échange d’une évacuation totale du Sinaï égyptien. Ils (les Israéliens, ndlr) se devaient de choisir entre la sécurité et l’expansion ; ils ont opté pour la sécurité. Et c’est toujours leur choix ».
Israël veut détruire le Liban
Chomsky prend très au sérieux les menaces proférées par Israël contre le Liban, surtout que les Etats-Unis lui apportent leur plein soutien. Il dit s’attendre à ce qu’ils détruisent tout le Liban car « ils ne lui permettront pas de rester un Etat de dissuasion ». « La situation est très dangereuse, et elle le restera ainsi car les Etats-Unis le permet », a-t-il prévu avec pessimisme.
D’autant plus que le président Obama est celui qui n’a imposé aucune limite à Israël, contrairement aux autres présidents : « Le président Carter, certains moments a imposé des limites a Israël qu’il lui était interdit de dépasser ; Même Ronald (Reagan) qui a soutenu Israël lorsqu’il a envahi le Liban, en juin 1982, mais il lui a demandé de stopper son avancée en Aout, parce que cela commençait à nuire aux intérêts des Etats-Unis... Il en est de même avec le président Georges Bush Junior en 2005, lorsqu’il a interdit à Israël d’exporter des techniques militaires perfectionnées à la Chine, sachant que l’économie israélienne est fortement tributaire de l’exportation des hautes technologies militaires et que la Chine constitue un marché énorme. Et lorsqu’Israël a dit qu’il est un Etat souverain, les Etats-Unis se sont offusqués, et ont interdit aux responsables israéliens de visiter Washington puis ils ont insisté pour obtenir une excuse publique et une législation qui l’interdit ».
Deux processus dans la région
Interrogé si la région se dirigeait vers la scission, sur des critères raciaux et confessionnels, il a répondu qu’il percevait plusieurs processus qui ne sont pas tous semblables : « l’un d’entre eux est entre les chiites et les sunnites ; il a commencé avec la guerre en Irak, et se consacre de plus en plus de nos jours. Il y a aussi les pays du Golfe qui s’unissent aujourd’hui contre l’Iran ; l’Irak est à peu près du côté de l’Iran. Ce qui creuse davantage le clivage. Le Liban dispose d’une histoire plutôt mauvaise de ce point de vue. Quant à l’autre processus, c’est l’opposition laïque à la répression et a l’islamisation, celle que nous voyons en Turquie à la place Taksim. La question qui se pose est de savoir lequel des deux processus va-t-il régner ? »
Chomsky a qualifié les manifestations en Turquie d’acte grandiose, et de grande importance. Selon lui, le Premier ministre turc Recep Tayyeb Erdogan a réagi similairement aux deux présidents égyptien et syrien, « une réaction violente et dure à l’encontre de revendications légitimes », décrit-il.
Un autre printemps aura lieu
Questionné sur « le Printemps arabe », s’il mérite bien son nom, il a indiqué ne plus savoir s’il ne s’agit pas d’un hiver arabe. « Au moins il s’agirait d’un automne arabe. Je pense qu’il y aura un autre printemps. Je ne pense pas que la situation est stable. Il y aura un nouveau printemps ». poursuit-il.
Et s’il est toujours optimiste, il répond : « nous n’avons pas d’autre choix. Objectivement, il est possible que nous soyons tous sous l’eau dans une ou deux générations. Mais il y a aussi des possibilités éventuelles d’espoir et de progrès. Nous devons bien les préserver ».
traduit du journal AlAkhbar