le conflit en Egypte se déplace entre Morsi et l’armée
Le camp du président Mohamed Morsi a accusé mercredi l'armée de mener un coup d'Etat, après l'expiration d'un ultimatum sommant le chef de l'Etat de mettre fin à la grave crise secouant l'Egypte et l'interdiction qui lui a été faite de quitter le territoire.
Ces développements sont survenus après l'expiration à 14H30 GMT de l'ultimatum de l'armée qui a menacé lundi d'imposer sa propre "feuille de route" à M. Morsi s'il ne "satisfait pas les revendications du peuple", en allusion aux Egyptiens qui manifestent pour réclamer son départ.
A travers le pays, des manifestations massives d'opposants mais aussi de partisans de M. Morsi continuaient, faisant craindre de nouvelles violences, alors que les heurts entre anti et pro-Morsi à l'occasion de tels rassemblements ont fait 47 morts et des centaines de blessés depuis le 26 juin.
L'armée a d'ailleurs massivement déployé ses blindés aux abords des rassemblements pro-Morsi au Caire, selon des correspondants de l'AFP.
Ce bras de fer entre l'armée et le président est le plus grave depuis son arrivée au pouvoir en juin 2012, au moment où le pays est profondément divisé.
Après la chute du régime de Hosni Moubarak, chassé en février 2011 par une révolte populaire, l'armée avait pris les rênes du pouvoir jusqu'à l'élection de M. Morsi, premier président civil et islamiste d'Egypte accusé par ses détracteurs de vouloir instaurer un régime autoritaire au profit des Frères musulmans dont il est issu.
"Dans l'intérêt de l'Egypte et pour la précision historique, appelons ce qui se passe par son vrai nom: un coup d'Etat militaire", a déclaré le conseiller pour la sécurité nationale du président Mohamed Morsi, Essam al-Haddad, dans un communiqué publié sur Facebook.
"Alors que j'écris ces lignes, je suis parfaitement conscient qu'elles sont peut-être les dernières que je vais publier sur cette page", a ajouté M. Haddad.
Juste avant cette annonce, des sources de sécurité ont affirmé que M. Morsi et plusieurs dirigeants des Frères musulmans avaient été interdits de quitter l'Egypte dans le cadre d'une enquête sur une affaire d'évasion de prison en 2011.
Des responsables à l'aéroport du Caire ont confirmé à l'AFP avoir reçu l'ordre d'empêcher les responsables islamistes, dont le Guide suprême de la puissante confrérie Mohammed Badie et son "numéro 2" Khairat al-Chater, de voyager.
L'armée n'a toujours pas publié de communiqué après l'expiration de l'ultimatum alors que selon le journal Al-Ahram, la "feuille de route" que l'armée pourrait mettre en place prévoit la nomination d'un conseil présidentiel dirigé par le président de la Haute cour constitutionnelle, et une suspension de la Constitution.
RENFORTS DE l'ARMEE
M. Morsi a, au même instant, appelé sur sa page Facebook officielle à "former un gouvernement de coalition et de consensus afin d'organiser des législatives à venir".
Mardi soir, il avait rejeté l'ultimatum de l'armée et affirmé qu'il ne se plierait à aucun "diktat", mettant en avant la "légitimité" que lui confère son élection démocratique.
Dans la journée, le chef de l'armée égyptienne, Abdel Fattah al-Sissi, a rencontré au Caire le représentant de l'opposition Mohammed ElBaradei, le patriarche copte Tawadros II et l'imam de la grande institution théologique sunnite d'Al-Azhar, Ahmed al-Tayeb, et des militants des mouvements de jeunes anti-Morsi. Mais les représentants des partis islamistes n'ont pas répondu à l'invitation.
Alors que le ministère de l'Intérieur a affirmé qu'il répondrait "fermement" à toute violence, l'armée a renforcé la sécurité autour des établissements officiels et a demandé au personnel administratif de la télévision d'Etat de quitter les lieux.
Quelques milliers de personnes étaient rassemblées devant le ministère, agitant des drapeaux et scandant "Egypte, Egypte!" ou, à l'adresse de M. Morsi "dégage, dégage!"
"Je n'attends qu'une chose, c'est que Morsi parte", affirmait Abdel Khalek Abdo, un agriculteur de 56 ans venu du delta du Nil.
"LA FIN"
Les grands boulevards de la ville habituellement embouteillés étaient quasiment vides, nombre d'habitants étant restés chez eux par crainte de violences. "Je suis inquiet, le sort de mon pays peut se jouer en quelques minutes", avouait un chauffeur de taxi.
Des foules de partisans et d'opposants au président se sont massées dans l'après-midi à travers l'Egypte.
Sur l'emblématique place Tahrir, des milliers de manifestants anti-Morsi étaient rassemblés dans l'après-midi.
"Il a répété au moins 1.000 fois le mot 'légitimité' comme si nous n'existions pas. Sa légitimité, il la tient du peuple qui aujourd'hui manifeste partout contre lui", a dit Rouaya, 19 ans, une manifestante voilée.
Ailleurs au Caire, des milliers de pro-Morsi étaient toujours massés sur la place Rabaa al-Adaouiya, dans le faubourg de Nasr City.
Selon Human Rights Watch, une centaine d'agressions sexuelles ont été commises sur la place Tahrir et ses environs en marge des manifestations des derniers jours.
A l'unisson de nombreux autres journaux, le journal Al-Watan (indépendant), a titré laconiquement: "La fin".