27-11-2024 11:52 AM Jerusalem Timing

"On est foutus": l’amertume d’un pompier de Detroit, ville en faillite

Tout le monde s’y attendait.

Dans la caserne de pompiers plus que centenaire de ce quartier ouest de Detroit (Michigan, nord) envahi de terrains vagues et où nombre de magasins ont mis la clé sous la porte, la faillite de cette ville américaine est tout sauf une surprise.
  
"En gros, on est foutus", déclare à l'AFP Frank Dombrowski, un pompier de 48 ans à la caserne "Engine 29", construite dans un quartier déserté où les incendies se déclarent le plus souvent dans des bâtiments vides.

"Apparemment, c'est ce que voulait Kevyn Orr. Depuis qu'il a été nommé pour gérer la crise, il n'a eu d'autre horizon que la faillite", ajoute-t-il, estimant que la procédure, à laquelle Detroit a eu recours jeudi, sanctionne 40 ans de déclin de l'ancien joyau américain de la construction automobile.

Aujourd'hui, la ville doit 18,5 milliards de dollars à ses créanciers.
  
Mais selon M. Dombrowski, ce qui a "tué la ville" c'est la tentative de promouvoir l'intégration à l'école en mélangeant les élèves de différents quartiers, entraînant l'exode des Blancs puis des Noirs.
 
"L'économie et Kwame Kilpatrick ont fait le reste", ajoute-t-il, en référence à l'ancien maire de Detroit, récemment condamné pour corruption.
  
La caserne elle-même est un concentré de la longue histoire de la ville. Construite au début du 20e siècle, quand Detroit était un pôle économique en pleine expansion, ses pompiers utilisent aujourd'hui un camion affichant plus de 160.000 km au compteur.
 

Dans la caserne "il n'y a pas d'air conditionné et le sous-sol est inondé", explique M. Dombrowski, qui a fermé les portes pour se protéger autant que possible des 32 degrés qui règnent à l'extérieur.
  
S'il trouve que la municipalité a laissé tomber ses pompiers, Frank Dombrowski pense que leur principal soutien reste la population. "Dès qu'on part en mission les gens nous saluent. Quand on combat un incendie, ils nous apportent à boire", raconte-t-il.
  
Une mairie "totalement inefficace"
  
C'est que le déclin économique de Detroit s'est accompagné d'une longue déchéance des services publics. Un tiers des ambulances de la ville sont en panne, faute d'argent pour les réparer et 40% des lampadaires ne fonctionnent plus.
  
A un arrêt de bus sur l'avenue Woodward, la grande artère de la ville, un homme âgé s'échauffe: "Les transports publics n'ont cessé de se dégrader avec le temps".
   Mais la colère vient aussi des employés municipaux eux-mêmes. "La mairie est totalement inefficace", lance l'un d'eux qui souhaite conserver l'anonymat par peur de représailles. "Il y a tout un tas de départements dont les activités se chevauchent et donc rien n'avance", ajoute-t-il.
  
Pour autant, Detroit, ou du moins son centre, montre des signes de vitalité. Dans un périmètre où se concentrent une université, deux hôpitaux, deux écoles des Beaux-Arts et une bibliothèque, de nouveaux commerces ont élu domicile.
  
Rachel Lutz a ouvert sa boutique de vêtements féminins The Peacock Room, où les prix  vont de un à plusieurs centaines de dollars. Elle vit juste au-dessus de son magasin. Dans son immeuble vivent 400 personnes et "il y en a 200 autres sur liste d'attente", dit-elle.
"La faillite pourrait être un pas dans la bonne direction", lance de son côté Llana Williams, 32 ans, qui travaille à l'Université de Wayne State. "Je sais que de mauvaises décisions ont été prises par le passé, mais je refuse d'y penser, parce que cela me met en colère",  conclut-elle.