La Tunisie est régulièrement déstabilisée depuis la révolution par l’essor d’une mouvance jihadiste
La Tunisie était dans l'attente mercredi de la réponse des islamistes au pouvoir après la mobilisation massive dans la rue de leurs détracteurs et la suspension de la Constituante, qui ont encore approfondi la crise déclenchée par l'assassinat d'un opposant.
Le parti islamiste Ennahda, la présidence et le gouvernement d'Ali Larayedh n'avaient pas réagi mercredi dans la matinée à ce double coup de théâtre de la veille.
Ennahda, arguant de sa légitimité issue de l'élection de la Constituante en octobre 2011, a exclu depuis le début toute démission du cabinet ou dissolution de l'Assemblée nationale constituante, réclamés par les opposants.
Les islamistes ont proposé en retour une coalition élargie, un scrutin le 17 décembre, et évoqué un vague projet de référendum de sortie de crise, projet difficile à mettre en place en l'absence de Constitution et de loi électorale, deux ans et demi après la révolution.
Dans la nuit de mardi à mercredi, l'opposition, soutenue par le puissant syndicat UGTT, a tenu son plus grand rassemblement depuis le début de la crise, le 25 juillet, avec la mort par balles du député Mohamed Brahmi. Cette manifestation marquait aussi les six mois de l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd, deux crimes attribués à la mouvance jihadiste.
Les dizaines de milliers de Tunisiens rassemblés devant l'ANC répondaient au rassemblement massif organisé par les islamistes samedi.
Et les détracteurs du régime, qui organisent chaque nuit des rassemblements depuis la mort de Brahmi, ont prévu de maintenir la pression malgré les quatre jours chômés qui débutent jeudi pour célébrer la fin du mois de jeûne du ramadan.
Gel de la Constituante
Le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaafar, un allié laïc des islamistes, attendait aussi la réponse de ses partenaires après sa décision surprise de geler les travaux de la Constituante, tandis que l'hétéroclite coalition d'opposition, qui va de l'extrême gauche au centre-droit, a jugé cet initiative "positive" mais "insuffisante".
M. Ben Jaafar en a appelé à l'UGTT, forte d'un demi-million de membres capables de paralyser le pays, de jouer "son rôle historique" et de "réunir autour de la table du dialogue tous les partis". Le syndicat a adopté une position médiane, réclamant le départ du gouvernement mais s'opposant à la dissolution de l'ANC.
Pour des analystes, l'heure de vérité a sonné et Ennahda et ses détracteurs n'ont plus d'autre choix que de rapprocher leurs positions.
"La position de Mustapha Ben Jaafar a pris les dirigeants d'Ennahda par surprise, ils sont dans l'impasse et ne peuvent supplanter le président de l'ANC", relève le politologue Slaheddine Jourchi.
Par ailleurs la position de l'UGTT, qui rejoint celle du patronat (Utica), va forcer chaque camp à négocier.
"Aucun parti, Ennahda compris, ne peut ignorer la position de l'UGTT qui est aussi celle de l'Utica. Ennahda ne peut pas continuer sans considérer que les forces (économiques et sociales) du pays ne sont pas d'accord avec lui", souligne M. Jourchi.
Des journaux tunisiens espéraient également que les deux camps se rendent à l'évidence et, face à la division du pays, acceptent de faire des concessions.
Le quotidien La Presse relève que la Tunisie "est dans une situation explosive" et implore la classe politique de "passer du bras de fer sur les places et dans les rues à un affrontement qui est celui des arguments".
Le Quotidien, plus critique à l'égard des islamistes, estime lui que "l'heure du compromis est arrivée (pour Ennahda) et ces concessions, arrivées au compte-gouttes, vont devoir prendre plus d'ampleur pour sauver le pays tant qu'il est encore temps".
La Tunisie est régulièrement déstabilisée depuis la révolution par l'essor d'une mouvance jihadiste, et l'opposition juge Ennahda responsable de la situation, les islamistes ayant longtemps hésité à combattre ces groupuscules.
L'armée a cependant lancé une vaste opération "aérienne et terrestre" contre un groupe qui serait lié à Al-Qaïda au Mont Chaambi (à la frontière algérienne) et responsable de la mort de dix soldats depuis le 29 juillet.
La police a de son côté multiplié les opérations "antiterroristes" depuis la semaine dernière tuant dans des incidents séparés deux hommes et en arrêtant une dizaine d'autres. Ceux-ci ont été accusés de préparer des attentats et des assassinats politiques.