Ces dernières semaines, les dirigeants islamistes cherchaient systématiquement l’accrochage avec des journalistes..
En pleine crise politique, la liberté d’expression des médias tunisiens dérange. Et les fortes têtes en paient le prix fort.
Les tensions entre le pouvoir et les médias tunisiens vont crescendo. De la mise en cause des lignes éditoriales, on est désormais passé à l'attaque à la personne. Les hommes, et les femmes du "4e pouvoir" dérangent. Si Sami Fehri, patron de la chaîne Ettounousiya TV, incarcéré depuis un an sans aucune inculpation, a été finalement libéré le 11 septembre, le renvoi de Sofiane Ben Farhat, chroniqueur vedette de Shems FM, suite à une altercation à l'antenne avec Hamza Hamza (membre particulièrement virulent du conseil consultatif d’Ennahdha), a fait scandale.
Ces dernières semaines, les dirigeants islamistes cherchaient systématiquement l’accrochage avec ce journaliste très populaire et réputé ne pas faire de cadeaux aux politiciens malgré qu'il a reçu de très sérieuses menaces de mort. Une grève de la faim de sept jours et le soutien du public lui ont cependant permis de retrouver son micro, où il dénonce une volonté du pouvoir de mettre au pas les médias et d’écarter les critiques.
Les faits semblent lui donner raison. Les nominations partisanes à la tête des radios publiques se multiplient tandis que de nombreux journalistes subissent des pressions. Taïeb Bouzidi a essuyé, sur El Watanya I, l’ire de Ameur Laarayedh, un dirigeant d’Ennahdha. L’animateur Zouhair el-Jiss d’Express Fm doit répondre devant un juge d’instruction des propos de l’un de ses invités, Salam Zahran, qui avait prétendu que la chaîne Al-Jazira rétribuait le président Moncef Marzouki.
Peine capitale
Le pouvoir fragilisé par une longue crise politique durcit-il le ton ? Le propriétaire de la chaîne El Hiwar, un des dirigeants du parti Nida Tounes, Tahar Ben Hassine, ancien opposant à Bourguiba et Ben Ali, est poursuivi pour "complot contre la sûreté de l'État" et "incitation à prendre les armes". Il risque, selon la loi tunisienne, la peine capitale. Son crime ? Avoir appelé, le soir de l’assassinat du leader de gauche, Chokri Belaïd, "l'armée à prendre ses responsabilités, dans le cadre de l'état d'urgence encore en vigueur" et "à la chute de ce gouvernement illégitime."
Procédé commun aux dictatures, l'instrumentalisation du code pénal contre la liberté d’expression, dans un pays qui assure vouloir la démocratie, laisse perplexe. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) veille au grain et s’élève contre tous les actes ou propos abusifs. Mais la protection de la profession exige surtout des réformes internes aux institutions comme au niveau législatif.
Les décrets 115 et 116 régissant les médias n’ont toujours pas été mis en application alors que la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) se garde de prendre position. Force est de constater que la stratégie de la pression fait son effet : les chaînes privées Nessma et Hannibal ont adopté un ton plus consensuel, quitte à perdre leurs meilleurs journalistes.
Source: Jeuneafrique