Cette grande déception kurde pourra affecter « le processus de résolution » du problème kurde dans le pays et provoquer l’explosion de la situation militaire entre l’Etat et le parti des travailleurs kurdes.
La série de réformes annoncée lundi par le Premier ministre turc Recep Tayep Erdogan n’a surpris personne, tout simplement, parce qu’elle n’a apporté aucun changement radical à la politique du gouvernement.
Ces réformes touchent en effet plusieurs dossiers polémiques concernant la société turque. Selon Erdogan, celles-ci « ne seront pas les dernières et elles libèreront la Turquie de plusieurs restrictions qui l’accablent toujours », a-t-il dit, qualifiant cette série de réformes de réalistes et de plausibles.
« Malgré les provocations sanguinaires, le gouvernement n’a pas renoncé à sa politique de renforcer la démocratie dans le pays. Les putschistes militaires sont les plus touchés par ces réformes », a dit le responsable turc, qui a fustigé l’opposition, l’accusant de semer la peur dans la société en mettant en garde contre la division du pays.
« Il n’existe pas de danger quant à la division de la Turquie, mais le problème dans le pays réside dans l’opposition », a-t-il martelé.
Parmi les réformes annoncées hier lundi par Erdogan :
- La levée de l'interdiction dans les institutions publiques des mesures discriminatoires pour les femmes et les hommes, en l'occurrence du foulard pour les femmes et de la barbe pour les hommes.
- L’autorisation de l'enseignement en langue kurde dans les écoles privées ou l'utilisation de la langue kurde pour
la propagande électorale.
- Discussion sur l'abaissement du seuil de 10% des suffrages nécessaire pour entrer au Parlement, et renforcement des sanctions contre les discours de haine, et contre "ceux qui s'opposent aux pratiques religieuses".
Toutefois, plusieurs remarques sont à noter :
1- Ce paquet de réformes ne répond à aucune revendication kurde essentielle, que ce soit au sujet du droit à l’apprentissage dans la langue mère dans les écoles à majorité kurde, ou du droit à une quelconque forme d’autonomie, ou encore à l’allègement des sanctions pouvant conduire à la libération des détenus politiques. Quant à la demande des kurdes sur l'abaissement du seuil de 10% des suffrages nécessaires pour entrer au Parlement, elle ne sera point tranchée dans l’immédiat. Au contraire, les débats sur cette question provoqueront des polémiques et des tergiversations.
Cette grande déception kurde pourra affecter « le processus de résolution » du problème kurde dans le pays et provoquer l’explosion de la situation militaire entre l’Etat et le parti des travailleurs kurdes.
2- Ce paquet de réformes n’a rien offert à la communauté alaouite, ni par rapport à la reconnaissance de leurs lieux de culte, ni à l’apprentissage obligatoire de la religion dans leurs écoles.
3- Il est clair qu’Erdogan cherchait à travers cette série de réformes à recueillir le soutien des catégories conservatrices et nationalistes dans la société pour aller en mars 2014 aux élections municipales, en aout 2014 à la présidentielle et en juin 2015 aux élections parlementaires avec deux ailes : confessionnelle (sunnite) et nationaliste (turque) sans avoir aucun risque de perdre le soutien de ces deux ailes pour présenter des concessions fondamentales aux kurdes et aux alaouites.
4- La nouvelle série de réformes est venue très modeste par rapport aux anciens paquets, au moment où l’on s’attendait à des mesures radicales pour sauver la Turquie de ses crises, surtout en cette période de changement que connait la région et qui menace la Turquie de la mettre à l’extérieur du jeu régional.
5- Le plafond très bas de cette série de réformes reflète une sorte de vide intellectuel et pratique, qui a commencé à infecter le parti Justice et développement depuis un certain moment, ce qui montre l'incapacité du parti à aller de l'avant avec le même courage sur la voie des réformes et de la démocratie réelle. Ceci aura un prix élevé sur l’unité et la stabilité de la Turquie, ainsi sur l’avenir du parti au pouvoir après le départ d’Erdogan l’année prochaine.
L'opposition turque fustige le projet de réformes de démocratisation
Les principaux partis turcs d'opposition ont fustigé ce projet de réformes, estimant qu'ils ignoraient les attentes des Turcs.
"Le gouvernement a déserté face aux principaux problèmes de ce pays et nous a présenté ces réformes pour échapper aux pressions de la société. Il n'y a dans ce paquet aucune réponse aux problèmes" de la Turquie, a commenté Kemal Kiliçdaroglu, le chef du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate).
"C'est tromper le peuple que de présenter comme une réforme de démocratisation quelques amendements concernant des sujets résolus depuis longtemps par la société comme le droit d'utiliser les lettres Q, W ou X", a épinglé Kiliçdaroglu, lors d'une conférence de presse.
Parmi les mesures annoncées lundi par Erdogan figure la libre utilisation des lettres Q,W et X, longtemps bannies de Turquie car absentes de l'alphabet turc, mais présentes en kurde.
La fin de cette interdiction vise tout particulièrement à répondre aux attentes de la minorité kurde, alors que les autorités d'Ankara mènent depuis la fin 2012 des négociations avec les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) pour mettre fin à 29 ans d'insurrection.
Kiliçdaroglu a accusé le gouvernement d'avoir produit avec ce paquet de réformes une "mauvaise copie" des propositions formulées par son propre parti et rejetées par le Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan.
"Aujourd'hui, l'AKP est le parti le plus attaché au statu quo, le parti le plus fermé au changement", a attaqué le politicien. "Ils pensent que l'Etat leur appartient. Ils considèrent la moindre objection comme une résistance à l'Etat. Le principal obstacle à la progression de la démocratie en Turquie est l'AKP lui-même."
Le chef du Parti de l'action nationaliste (MHP, nationaliste), Devlet Bahçeli, a pour sa part dénoncé l'absence de consultation qui a entouré la préparation de ces réformes. "Le peuple turc est absent de ce paquet, ses attentes n'y sont pas. La volonté du Parlement n'y est pas", a-t-il déclaré.
source: AFP+ assafir (traduit par le site al-Manar)