Par Andre Damon.
Alors que les États-Unis traversent la troisième semaine de la fermeture du gouvernement, il devient de plus en plus évident que la crise persistante et la menace d’un défaut de paiement au fédéral sont utilisés pour créer les conditions politiques d’une intensification des assauts contre la classe ouvrière.
Ce schéma a été utilisé de nombreuses fois. L’extrême droite du Parti républicain a fixé le cadre des discussions et les démocrates ont saisi l’occasion pour accepter la plupart de leurs exigences avec lesquelles ils sont de toute façon d’accord en général. La crise entraînera un virage encore plus à droite de la part de l’establishment politique et l’imposition de coupes encore plus radicales dans les dépenses sociales.
Au cours de la semaine passée, les négociations pour une réouverture du gouvernement et le relèvement du plafond de la dette se sont transformées en discussions visant la réduction de l’assurance santé Medicare et de la sécurité sociale, tandis que les dirigeants de la Maison Blanche et des républicains ont clairement fait savoir qu'ils voulaient utiliser la crise actuelle pour diminuer les programmes sociaux de base qui gardent des millions de personnes hors de la pauvreté.
À en croire la couverture médiatique sur l’actuel débat budgétaire, l’on pourrait avoir l’impression qu’il existe en faveur de ce programme un large appui du public. Rien ne pourrait être plus faux. L’opposition populaire actuelle ne trouve cependant aucune expression politique au sein de l’un ou l’autre de ces partis.
Les effets sociaux dévastateurs de la fermeture du gouvernement ont également été relégués au second plan du débat officiel. Les médias n’ont concentré leur attention que sur l’impact qu’aurait sur les marchés financiers un éventuel défaut de paiement sur la dette tandis que des millions de bénéficiaires du programme fédéral d’aide alimentaire pour les femmes, les nourrissons et les enfants (en anglais, le programme s'intitule « Women, Infant and Children » ou WIC) risquent de manquer de nourriture et des centaines de milliers de fonctionnaires sont au chômage technique sans salaire.
Le débat actuel tourne autour de propositions concurrentes qui ont été avancées par la Chambre des représentants et le Sénat afin de financer provisoirement le gouvernement et de relever le plafond de la dette pour relancer les discussions sur les coupes sociales.
Une proposition, rédigée par la sénatrice républicaine Susan Collins et considérée par le Sénat, adopterait une résolution pour un financement de six mois qui rendrait les coupes budgétaires permanentes et abrogerait un impôt sur les fabricants d'équipement médical.
La Chambre, qui est contrôlée par les républicains, a proposé un relèvement du plafond de la dette à plus court terme.
La cause officielle de la fermeture du gouvernement américain – l’opposition de certaines sections du mouvement républicain du «Tea Party» à l’égard de l'Affordable Care Act (ACA) du gouvernement Obama – a été mise à l’arrière-plan alors que les discussions se sont concentrées sur la sécurité sociale et Medicare.
En fait, l’ObamaCare jouit de l’appui des sections dominantes du patronat et de l’élite financière qui la considèrent, à juste titre, comme une étape pour réduire les soins de santé de la population et réduire le fardeau du patronat et du gouvernement dans leur financement.
Le ton de la discussion avait été donné par Obama lors d’une conférence de presse tenue mardi dernier où il a dit aux républicains qu’il «voulait parler de tout», en ajoutant, «Dans mon budget, j’ai présenté des propositions pour réformer les programmes sociaux sur le long terme et notre régime de taxation de manière à… abaisser les taux d'imposition des entreprises.»
Ces points ont été repris dans un commentaire rédigé par le républicain Paul Ryan, le président de la Commission du Budget à la Chambre des représentants, publié mercredi par le Wall Street Journal et qui a déclaré son soutien aux coupes dans Medicare et les retraites au fédéral.
Les programmes fédéraux de base des soins de santé et des retraites – auparavant des questions «très sensibles» de la politique américaine qu'il était impossible de toucher en raison du soutien populaire massif pour ces programmes – sont maintenant la cible principale de l’ensemble de l’appareil politique.
Des efforts intensifs ont été entrepris pour les démanteler, mais en vain jusque-là. Le plus près que les deux partis s’étaient trouvés pour la conclusion d’un accord avait été durant la crise du plafond de la dette en 2011 lorsqu’Obama avait proposé des coupes de l’ordre de plus d’un millier de milliards de dollars dans les programmes sociaux dans le cadre d’un plan de réduction de 2,8 billions de dollars du déficit.
La crise de 2011 a cependant été résolue grâce à une série plus limitée de coupes dans les dépenses discrétionnaires. Ceci fut suivi par une autre série de coupes budgétaires automatiques («sequester») généralisées de 1,2 billion de dollars qui a été mise en oeuvre au début de 2013 par une réduction draconienne de dizaines de milliards par an des programmes d’éducation, d’aide au logement et de programmes pour aider les pauvres. L'offensive contre la sécurité sociale et Medicare est maintenant ravivée.
La fermeture du gouvernement et les manigances des deux partis entraînent une aggravation de l’aliénation d’une grande partie de la population envers l’establishment politique. Le Parti républicain a presque immédiatement subi des pertes, son taux de soutien chutant au plus bas niveau depuis 1992, selon un sondage effectué par Gallup.
Ceci n’est toutefois qu’une expression de l’hostilité ressentie envers l’ensemble de l’appareil d’État. Pour le Congrès, un sondage réalisé par l’institut GfK n’a enregistré un taux d’approbation de seulement cinq pourcent et un taux d’opinions défavorables de 83 pour cent parmi la population. Dans tout système démocratique, de tels chiffres rendraient impossible toute poursuite de gouvernance vu qu’ils expriment un total manque de confiance. Le gouvernement américain est toutefois un gouvernement du patronat et de l’aristocratie financière, formé par eux et travaillant pour eux.
L’affirmation qu’il n’y a «pas d’argent» pour financer Medicare et la sécurité sociale est répétée sans cesse, et pourtant, depuis le krach de 2008, le gouvernement fédéral a dépensé des milliers de milliards pour renflouer les banques. La Réserve fédérale octroie 85 milliards de dollars par mois aux marchés en rachat d’obligations du Trésor américain et de titres adossés à des hypothèques.
En effet, les préparatifs pour une nouvelle tournée d’attaques ont eu lieu la semaine même où Obama nommait Janet Yellen à la tête de la Réserve fédérale après que Lawrence Summers, un représentant pur et dur des banques, a été rejeté par Wall Street parce qu’il avait soulevé un certain nombre de questions sur la viabilité à long terme des activités d’impression de monnaie. L'aide financière accordée aux ultra-riches doit être maintenue coûte que coûte.
La prétention qu’il n’y a pas d’argent pour fournir des soins de santé et des prestations de retraite décents à la population est tout à fait frauduleuse. Les moyens existent, mais ils sont monopolisés par un petit groupe d’oligarques financiers qui dominent la vie politique aux États-Unis.
La campagne visant le démantèlement de la sécurité sociale et de Medicare prouve une fois de plus l’incompatibilité du système capitaliste avec les droits sociaux des travailleurs. Toutes les réformes sociales acquises antérieurement sont démolies, alors même que les ultra-riches accumulent des sommes de plus en plus stupéfiantes.
Le seul moyen de défendre le droit aux soins de santé, le droit à l’éducation et tous les autres droits sociaux est de construire un mouvement de masse de la classe ouvrière qui soit armé d’un programme socialiste. La grande industrie et la finance doivent être nationalisées et contrôlées démocratiquement par les travailleurs. Un terme doit être mis à la dictature du marché capitaliste et la société doit être réorganisée sur la base des besoins sociaux et non des profits privés.