Il est de retour après un arrêt de près de 4 mois.
Son retour était très attendu dans un pays où les médias, quasi-unanimes, célèbrent l'armée qui a destitué le président islamiste Mohamed Morsi: pour sa première émission après quatre mois d'absence, le satiriste Bassem Youssef a de nouveau déchaîné les passions.
Ce vendredi soir, en dépit du couvre-feu qui s'abat à 19 heures sur Le Caire, les cafés étaient bondés de téléspectateurs rivés devant l'émission "El Bernameg" (Le Programme, en arabe), avec une seule question en tête: osera-t-il critiquer l'armée?
Et à l'issue de 90 minutes de show, celui qui était déjà la bête noire des Frères musulmans pour ses critiques au vitriol du président Morsi, s'est attiré de nouveaux détracteurs: les partisans du général Abdel Fattah Al-Sissi, chef de la toute-puissante armée qui a destitué M. Morsi le 3 juillet.
Revenant sur cet épisode, Bassem Youssef, qui n'a rien raté des médias locaux pendant les quatre mois d'interruption dus à l'été puis au ramadan, épingle leur unanimité, leurs exagérations sur le nombre de manifestants descendus dans les rues pour réclamer le départ de M. Morsi le 30 juin --20, 40, certains évoquent 70 millions.
Il pose aussi la question qui fâche: est-ce une révolution, comme l'affirment les anti-Morsi, ou un coup d'Etat, comme le disent les pro-Morsi?
Tournant en dérision les arguments des uns et des autres, il affirme, faisant référence à la puissante confrérie des Frères musulmans de M. Morsi, que "quand tu rêves du pouvoir pendant 80 ans et que tu le perds d'un coup, c'est un coup d'Etat".
Mais, se mettant ensuite en scène dans la peau des militaires déposant M. Morsi, il décrit une transition tout en douceur où les soldats s'adressent au président une rose à la main: "Morsi, baby, tu n'es plus le président... Ce n'est pas de notre faute, mais de la tienne".
Evoquant ensuite les nouvelles autorités, il se moque d'un président par intérim dont personne ne semble se rappeler le nom --Adly Mansour--, alors que certains multiplient les odes au général Sissi, voire même les chocolats à son effigie.
Mais rire de cette "Sissi-mania" qui s'est emparée de certains Egyptiens n'est pas au goût de tous.
Ainsi, Sameh Seif el-Yazal, expert en stratégie militaire retraité de l'armée, déplore sur Facebook une "attaque directe contre le général Sissi" qui va "bénéficier aux Frères musulmans" contre lesquels les nouvelles autorités assurent mener une "guerre contre le terrorisme".
Dans un café du faubourg du Moqattam, Ramy Adel, banquier au Caire, est venu regarder l'émission avec des amis. "On dirait que Bassem Youssef n'a pas d'autre but que de se moquer du régime en place", lâche-t-il. "Il ne cherche qu'à saper le prestige de Sissi et de l'armée, c'est horrible!".
Ahmed Abdel Alim, lui, a trouvé l'émission "géniale". "Bassem Youssef a réussi à résumer ce qui se passe sur la scène politique égyptienne de façon objective et courageuse", lance-t-il, enthousiaste. "Il a critiqué tous les dirigeants, même Sissi, et personne n'ose faire ça", poursuit l'homme qui dit ne soutenir ni l'armée ni les Frères.
Celui qui avait été poursuivi en justice sous la présidence Morsi pour ses critiques acerbes contre le chef de l'Etat n'a pas arrêté de brocarder les ex-dirigeants islamistes, aujourd'hui devant la justice ou détenus au secret.
Leila Ibrahim, elle, n'a retenu que les attaques de Bassem Youssef --un "clown", selon elle-- contre M. Morsi, qu'elle soutient: "c'est une honte de se moquer de personnes qui sont en prison. C'est lâche de s'en prendre à ceux qui ne peuvent pas se défendre".
En Egypte où manifestations, affrontements et attentats ont fait plus d'un millier de morts depuis début juillet, les esprits sont encore échauffés et les réseaux sociaux bouillonnent, entre admiration fervente et critiques virulentes. Sur Facebook, des groupes réclament déjà des poursuites judiciaires contre l'humoriste.
Sur Twitter, le principal intéressé a répondu, laconique: "les Egyptiens aiment les blagues et l'ironie, c'est vrai, mais surtout quand elles correspondent à leurs idées".