La Turquie adopte une lecture plus réaliste de sa situation régionale et décide de se rapprocher de l’Irak.Pourquoi?
Les relations turco -irakiennes ont enregistré ces derniers jours une évolution majeure qui a commencé par une visite de l'envoyé turc du Premier ministre turc Recep Tayyep Erdogan à Bagdad qui voulait transmettre une invitation au Premier ministre irakien Nouri al -Maliki pour se rendre en Turquie .
Il s’en est suivi une visite du ministre irakien des Affaires étrangères Hoshyar Zebari à Ankara et sa rencontre avec des responsables turcs.
Or la prochaine visite du ministre turc des Affaires étrangères Ahmed Davutoglu à Bagdad constituera un tournant dans cette relation en vue des conséquences qu’apportera la rencontre entre Erdogan et al -Maliki prévue au mois de Decembre à Ankara.
Ces développements positifs dans les relations entre la Turquie et l'Irak semblent en fait être liés à des retournements de situation inattendus qui se sont déroulés dans la région avec le renversement du président égyptien Mohammad Morsi en passant par l'accord américano-russe sur la destruction d'armes chimiques en Syrie ou les préparatifs iraniens et américains pour organiser Genève 2 et l’espoir sérieux de réaliser un règlement politique de la crise syrienne.
Parmi les signes révélateurs de ce début de dégel dans les relations turco-irakiennes, la question de l'expulsion du président syrien Bachar al -Assad qui ne s’impose plus, du moins pour l’instant , comme une condition pour un règlement de la crise syrienne.
En effet, la Turquie, a commencé à traiter avec cette crise de façon réaliste sans implicitement renoncer à sa demande de l'élimination du président Assad d'une manière ou d'une autre.
La Turquie a réalisé que l’évolution sur le terrain en Syrie n’était plus en sa faveur surtout aprés les défaites de l’Armée syrienne libre, instrument de guerre de l'influence turque en Syrie, face aux organisations sœurs d’alqaida. Ce qui a poussé Ankara à chercher une forme de compensation à travers notamment une restauration des relations avec l'Irak.
Il ne fait aucun doute que le facteur Kurde dans le nord de la Syrie et l'annonce par le président du Kurdistan irakien Massoud Barzani de soutenir les combattants kurdes en Syrie, en leur offrant formation et armement voire qu’il était prêt à envoyer des combattants kurdes dans le nord de la Syrie a pesé sur la décision de la Turquie de se rapprocher de l’Irak.
Sachant que le gouvernement du Parti Justice et Développement ne veut pas d’un pouvoir croissant des Kurdes en Syrie d’où il a envoyé une lettre à ce sujet à Barzani pour lui exprimer son inconfort à travers une invitation à al-Maliki pour se rendre en Turquie .
Autrement dit, Ankara a utilisé les Kurdes de l'Irak pour faire pression sur Bagdad, elle a recours aujourd’hui à cette dernière pour faire pression sur Arbil.
Certes, il ne faut pas omettre un autre facteur tout aussi déterminant dans ce rapprochement turco-irakien à savoir la relation irano-turque qui s’est poursuivi malgré la crise syrienne et qui s’est reflétée positivement sur le les relations turco-irakienne.
Autre raison cruciale pour pousser la Turquie à se rapprocher de l’Irak : le déclin de ses relations économiques avec les pays du Machrek , y compris l'Irak . Et donc, il est apparu nécessaire pour la Turquie de réactiver ses exportations et ses investissements en Irak surtout que ce dernier représente un marché important pour l'économie turque.
Pour sa part, Bagdad est enthousiaste du retour de la chaleur dans les relations avec Ankara. Car elle espère que la Turquie cesser d'importer du pétrole brut de manière illégale du Kurdistan.
Mais aussi, parce qu’elle estime que la visite de Davutoglu à Bagdad est une reconnaissance du rôle central de l’Irak dans la région après que la Turquie ait tenté de marginaliser ce rôle au profit du parti kurde.
Il faut aussi souligner que le gouvernement irakien espère aussi à travers ce rapprochement arrêter ou au moins diminuer le soutien turc pour les groupes sunnites en Irak, symbole de la lutte d’Erdogan contre marginalisation sunnite de la part des chiites.
Ainsi, l'apaisement des tensions avec les sunnites irakiens, en particulier après l’affaire de l'ancien vice -président irakien Tareq al- Hashemi, qui a fui vers la Turquie a avant de quitter pour le Qatar a provoqué une tension dans les relations bilatérales.
Enfin, la tension dans les relations entre la Turquie et l'Arabie saoudite a joué un rôle dans ce rapprochement : une tension qui s’est allumée en Egypte (avec l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans) puis qui a explosé dans le conflit militaire en Syrie entre les groupes soutenus par l'Arabie saoudite (Front alNosra) et ceux qui sont soutenus par la Turquie.
D’où le rapprochement irako-turque semble idéal pour s’opposer face à l'influence saoudienne.
Et la libération des otages libanais d’Ezaz en échange de celle de deux pilotes turcs enlevés au Liban n’est que la traduction de cette divergence dans les points de vue turque et saoudien. Une divergence renforcée par le retour sur la scène politique régional du Qatar en tant que médiateur dans cette affaire, alors que qu’il faut enregistrer une absence totale de l'Arabie saoudite et de ses alliés au Liban.
Toutefois, ce rapprochement turco-irakien n'impose pas une accélération dans la normalisation des relations entre les deux parties.
Car cela fait plus de deux ans qu’Erdogan et al -Maliki se jettent des accusations et des insultes surtout que la partie turque a utilisé de tous ses moyens pour tenter d’affaiblir le bloc chiite en Irak et dans la région.
Et donc, il faudrait une longue période de mise en confiance entre les deux parties avant de pouvoir normaliser les relations bilatérales. C’est pourquoi il est tout à fait normal que la relation soit au début une relation d’intérêt sous le titre de bon voisinage en dehors de tous projets régionaux qui sont apparus inefficaces en raison de l’appartenance de la Turquie à l'OTAN et au système occidental.