Son fils aussi semble impliqué dans le scandale qui éclabousse des membres de son parti
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan fragilisé par une crise sans précédent, faisait face vendredi à la contestation de la rue dans plusieurs grandes villes de Turquie où des manifestations sont organisées pour réclamer la démission de son gouvernement.
Six mois après la fronde qui a fait vaciller son pouvoir, plusieurs partis et organisations proches de l'opposition ont appelé à des rassemblements de masse à Ankara et Istanbul, sur l'emblématique place Taksim, pour exiger le départ de M. Erdogan et de son gouvernement.
La crise politique a également accéléré l'affaiblissement des marchés. La devise nationale est tombée à 2,1515 livres pour un dollar vendredi en milieu de journée, à un nouveau plus bas historique, en dépit d'une intervention de la banque centrale.
De son côté, le principal indice de la bourse d'Istanbul a continué de plonger perdant 3,8% vendredi matin après avoir déjà fortement reculé jeudi et mercredi.
Le remaniement gouvernemental en urgence, après la démission de trois ministres clé éclaboussés par le scandale dévastateur pour le pouvoir islamo-conservatrice, n'a pas suffi à étouffer l'onde de choc qu'il a provoquée.
L'annonce jeudi du dessaisissement d'un des procureurs en charge de l'enquête, Muammer Akkas, a mis en lumière le bras de fer qui oppose la justice turque et l'exécutif.
Dénonçant des "pressions" de la police et de sa hiérarchie, ce procureur a accusé la police d'avoir refusé d'appréhender une trentaine de personnes, notamment des personnalités du Parti de la justice et du développement (AKP) du Premier ministre.
Après l'annonce du dessaisissement du procureur, la presse libérale a dénoncé "un coup" de la police contre "l'ordre constitutionnel".
"La justice brisée", titrait vendredi à la Une le journal à gros tirage Hurriyet dont un éditorialiste condamnait l'"intervention inacceptable contre le pouvoir judiciaire".
"Comment peut-on vivre dans ce pays alors que (l'exécutif) tente par tous les moyens de bâillonner des affaires de corruption qui s'étalent au grand jour", s'interroge Mehmet Yilmaz.
La presse turque a confirmé par ailleurs que l'enquête s'intéressait désormais de près à l'un des deux fils du Premier ministre, Bilal Erdogan, qui dirige la Fondation turque pour le service des jeunes et de l'éducation (Turgev), soupçonné de trafic d'influence dans des fraudes impliquant des municipalités tenues par l'AKP.
Le chef du gouvernement aurait lui-même confié son inquiétude. "La cible principale de cette opération, c'est moi", aurait-il dit à son entourage, souligne la presse.
Manifestations dans les grandes villes
Vendredi deux grands rassemblements sont prévus à Ankara et Istanbul dans l'après-midi, un mouvement qui fait ressurgir le spectre de la fronde antigouvernementale qui a défié l'autorité de M. Erdogan en juin dernier.
La police, au centre de la controverse, est soumise à une purge inédite depuis le coup de filet anticorruption du 17 décembre. Le chef de l'exécutif a entamé une chasse aux sorcières en sanctionnant plus d'une centaine de hauts gradés. Il reproche à ces officiers de ne pas avoir mis dans la confidence le gouvernement de l'enquête qui le vise.
Une circulaire publiée dimanche oblige désormais les fonctionnaires de police à informer leurs supérieurs hiérarchiques avant de procéder à des perquisitions et des arrestations ordonnées par la justice. Un moyen pour le gouvernement de garder la main sur la police.
Pour raffermir son autorité, M. Erdogan a placé au ministère de l'Intérieur un de ses proches conseillers, Efkan Ala, une nomination critiquée par le principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP) qui y voit une volonté de gouverner par l'intermédiaire d'un " Etat parallèle".
Deux députés du parti gouvernemental, menacés d'expulsion pour s'être prononcés en faveur de l'indépendance de la justice, ont annoncé vendredi leur démission.
Si aucun nom n'a été cité, les spécialistes ont vu en toile de fond de la crise actuelle une guerre, désormais ouverte, entre le pouvoir et l'influente confrérie de l'imam Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis.
La confrérie, omniprésente dans la police et la magistrature, n'a pas pardonné au gouvernement sa décision de fermer les nombreux établissements de soutien scolaire, une de ses importantes sources de revenus.