"C’est la première fois dans l’histoire de la République turque qu’un Premier ministre défend des voleurs".
Le gouvernement islamo-conservateur turc a continué lundi à combattre le "complot" que constitue, à ses yeux, le scandale politico-financier qui l'éclabousse et dont il a chiffré le coût pour l'économie à déjà plus de 100 milliards de dollars.
Sur fond de net rebond des marchés financiers, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a réuni pour la première fois sa nouvelle équipe ministérielle, remaniée dans l'urgence la semaine dernière après la démission de trois ministres mis en cause par l'enquête anticorruption qui fait tanguer le sommet de l'Etat.
A l'issue de cette réunion de mobilisation, le porte-parole du gouvernement Bülent Arinç a encore une fois dénoncé un "piège" destiné à "faire de l'ombre au prestige de la Turquie, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières".
"Nous parlons de dommages d'un montant de plus de 100 milliards de dollars", a insisté le vice-Premier ministre devant la presse, en référence à la dégringolade de la monnaie et des marchés turcs provoquée la semaine dernière par cette crise politique sans précédent.
La livre et la bourse d'Istanbul ont nettement repris des couleurs lundi.
La devise turque s'échangeait à la clôture à 2,1239 livre pour un dollar, contre 2,1492 vendredi, tandis que le principal indice de la bourse stambouliote (BIST 100) concluait la séance sur une forte hausse de 6,42%.
Délibérément optimistes, le ministre des Finances Mehmet Simsek a espéré un ressaisissement "rapide" des marchés et son nouveau collègue de l'Economie Nihat Zeybekçi a parié sur leur retour au calme "d'ici la fin de la semaine".
Mais les patrons de Turquie restent, eux, beaucoup plus inquiets.
Interrogés par le magazine Ekonomist, plus des deux tiers (71%) de 132 PDG de sociétés turques ou étrangères implantées en Turquie redoutent un sérieux impact en 2014 sur l'économie du pays, déjà affectée par la crise et la politique monétaire de la Fed américaine.
Comme M. Erdogan ce week-end, le nouveau ministre de l'Intérieur Efkan Ala a pointé du doigt lundi la responsabilité de la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen dans l'enquête anticorruption qui a déjà conduit à l'incarcération d'une vingtaine de personnalités proches du pouvoir.
Tendances "autoritaires"
"Cette opération est une tentative d'assassinat à la veille des élections (...) presqu'un coup d'Etat", a jugé M. Ala dans le quotidien progouvernemental Sabah.
Longtemps alliée de l'AKP, l'organisation Gülen, très influente dans la police et la magistrature, a déclaré la guerre au gouvernement contre son projet de supprimer certaines écoles privées qui constituent pour elle une manne financière.
Par le biais d'un communiqué de la Fondation des journalistes et écrivains, dont le président honoraire est M. Gülen, la confrérie a assuré lundi n'avoir "aucune hostilité" envers l'AKP et démenti être "l'Etat dans l'Etat" décrié par M. Erdogan.
La Fondation a toutefois ajouté être "très inquiète" des tendances "autoritaires" du Premier ministre. "Il est évident qu'en Turquie, les gouvernements impliqués dans la corruption (...) ont perdu toute confiance et tout crédit", a-t-elle insisté.
Les manifestations anticorruption de vendredi soir, sévèrement réprimées à Istanbul et Ankara, n'ont réuni que quelques milliers de personnes dans une dizaine de villes, très loin des gros bataillons de la fronde de juin. Mais les chefs de l'opposition exigent chaque jour la démission de M. Erdogan.
"C'est la première fois dans l'histoire de la République turque qu'un Premier ministre défend des voleurs", s'est ainsi offusqué le président du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu. Son homologue ultranationaliste Devlet Bahçeli a lui accusé M. Erdogan de faire "obstacle" à la justice et à la police.
Depuis le début du scandale, le gouvernement a limogé plusieurs dizaines de cadres de la haute hiérarchie de la police, accusés d'être proches du mouvement Gülen, et nommé de nouveaux procureurs pour encadrer ceux qui dirigent l'enquête le menaçant.
Dans une sortie publique inédite, l'un d'entre eux a accusé la semaine dernière la police d'avoir refusé d'exécuter des mandats d'arrêts contre une trentaine de nouvelles personnalités soupçonnées de fraude, toutes proches du pouvoir.
Lundi, le porte-parole du gouvernement a promis "de faire tout ce qui est nécessaire, judiciairement ou légalement, contre ceux qui abusent de leurs pouvoirs".