"Les deux pays se rapprochent avec un très fort degré de pragmatisme, en partie parce qu’ils n’ont pas d’autres choix", estime un expert.
Pour l'Iran, les États-Unis ont été le "Grand Satan" ces trente dernières années, Washington rétorquant que Téhéran était sur "l'Axe du mal". Mais le dégel entre les deux ennemis pourrait les voir coopérer sur les points chauds du Moyen-Orient.
Il y a certes encore trop de rancœur pour que le couple rebâtisse du jour au lendemain une relation de confiance, mais les conflits en Afghanistan, en Syrie ou en Irak recèlent des "intérêts communs" susceptibles de pousser les deux puissances à travailler main dans la main, relèvent des analystes.
En seulement quelques mois, Téhéran et Washington, qui n'ont plus de relations diplomatiques depuis avril 1980, se sont rapprochés de manière spectaculaire à la faveur d'un appel téléphonique historique fin septembre entre les présidents Barack Obama et Hassan Rohani. Les gouvernements se sont aussi beaucoup reparlés directement, d'abord dans le secret à Oman en 2013, puis ouvertement jusqu'à parvenir fin novembre à un premier accord sur le nucléaire iranien.
"Les deux pays se rapprochent avec un très fort degré de pragmatisme, en partie parce qu'ils n'ont pas d'autres choix", résume pour l'AFP John Bradshaw, du centre d'études National Security Network.
Son confrère Alireza Nader, analyste au centre de recherches RAND Corporation prédit également entre Américains et Iraniens "un possible processus d'engagement réciproque afin de résoudre certaines crises régionales".
Au premier rang desquelles, l'Afghanistan, "le meilleur exemple d'intérêts croisés", selon M. Nader: d'abord, explique-t-il, parce que "les États-Unis comme l'Iran ne veulent pas d'un retour des talibans au pouvoir" à Kaboul, ensuite parce que "tous les deux s'inquiètent du flux de drogues venant d'Afghanistan", frontalier de l'Iran.
L'expert rappelle qu'à la chute des talibans fin 2001, Washington et Téhéran avaient coopéré pour mettre sur pied le régime du président afghan Hamid Karzaï. Le négociateur iranien de l'époque est l'actuel chef de la diplomatie, Mohammad Javad Zarif, pièce maîtresse des négociations sur le nucléaire avec les grandes puissances.
Si cette crise nucléaire internationale se règle, l'Afghanistan pourrait donc constituer "le meilleur cas de coopération" américano-iranienne, pense M. Nader, soulignant que ce dossier afghan revêt "une faible dimension idéologique" pour les deux pays.
C'est tout le contraire sur la Syrie.
Washington et Téhéran ont des positions antagoniques à propos de cette guerre, les Américains soutenant l'opposition au régime syrien et accusant l'Iran d'être "un mécène du terrorisme" par son appui militaire au Hezbollah libanais, qui combat aux côtés de Damas.
Alireza Nader décèle toutefois "certains points de convergence".
"L'Iran et les États-Unis s'alarment de la montée d'Al-Qaïda et de l'extrémisme sunnite" en Syrie, constate-t-il.
Concurrents pour le Moyen-Orient
Cette même crainte d'une poussée d'Al-Qaïda et des extrémistes sunnites en Irak, dirigé aujourd'hui par des chiites, nourrit encore les intérêts conjoints de Téhéran et de Washington, relèvent MM. Bradshaw et Nader.
Ainsi, les forces armées iraniennes ont annoncé le weekend dernier être prêtes à fournir des équipements militaires et des conseils à l'Irak pour l'épauler dans sa lutte contre Al-Qaïda. Simultanément, le Pentagone va accélérer ses livraisons de missiles et de drones de surveillance à Bagdad pour l'aider à combattre le groupe extrémiste.
Mais ces "voies de coopération" restent étroites et ne conduiront pas pour l'instant à une "alliance" entre l'Iran et les États-Unis, qui "demeurent concurrents pour le Moyen-Orient", tempère Alireza Nader.
A ses yeux, "l'hostilité de la République islamique pour Israël est probablement le plus gros obstacle à la coopération entre l'Iran et les Etats-Unis".
D'ailleurs le dégel historique américano-iranien est vu d'un très mauvais œil, tant du côté israélien que dans le Golfe, à commencer par l'Arabie saoudite concurrente de Téhéran sur la scène régionale.
A Washington aussi, une partie du Congrès est très hostile à l'idée de baisser la garde face à l'Iran, poussant même pour un renforcement des sanctions.
Coopérer avec l'Iran, notamment pour combattre Al-Qaïda, équivaudrait à "offrir au pyromane de quoi attiser l'incendie", avertit dans le magazine Foreign Policy, Raymond Tanter, un ancien de l'administration Reagan.