24-11-2024 03:52 AM Jerusalem Timing

Pourquoi Riyad joue-t-il la carte pakistanaise?

Pourquoi Riyad joue-t-il la carte pakistanaise?

Il est fort improbable que le Pakistan s’implique dans une guerre contre l’Iran, tout comme l’avait fait Saddam dans les années 80.

Le prince Saoud al-Fayçal, Ministre Saoudien des affaires étrangères a effectué le 16 janvier dernier une visite au Pakistan pour honorer «  les profondes relations historiques entre les deux pays ».

Il a promis de  tenir des réunions régulières pour dissiper les inquiétudes  des deux pays concernant les questions régionales et internationales.

 Besoin mutuel

Le Pakistan a cruellement besoin des investissements saoudiens ainsi que des sommes d'argent qu'un million et demi d'ouvriers pakistanais présents en Arabie envoient dans leur pays.

L'Arabie voit dans ses bonnes relations avec le Pakistan un outil pour asseoir son emprise sur le monde arabe. Certains observateurs  estiment que la principale raison du voyage du Ministre saoudien des Affaires étrangères, à Islamabad, était d'étudier la création d'une force militaire dont le Quartier général se situerait à Riad, avec pour objectif d'endiguer et d'assiéger l'Iran. A l'état actuel, on peut imaginer que l'Arabie ait besoin de l'assistance militaire pakistanaise, plutôt pour surmonter les questions internes que de faire face aux dangers extérieurs.

 La nécessité d'un allié non arabe

Mais, cela ne s'arrête pas là. L'aide militaire pakistanaise n'est pas une chose nouvelle ni pour l'Arabie ni pour les autres pays de la région.

L'aide des pakistanais est, par rapport aux autres pays, moins couteuse, beaucoup plus fiable, et suscite moins de conflits et de scandales.  Abstraction faite de tous ces cas, les forces pakistanaises sont contractuelles et n'engendrent pas, contrairement à des relations habituelles, l'influence politique dans le pays concerné.

Etant donné que les Pakistanais partagent la même confession et religion que les Saoudiens, les forces militaires pakistanaises peuvent être déployées dans les sites religieux sans que le gouvernement ne soit accusé d'avoir fait appel aux infidèles.

Entre-temps, l'Arabie Saoudite peut être rassurée que les Pakistanais n'ont ni un plan secret ni ambition, ce qui écarte les problèmes dans les relations entre les deux pays. Elle peut compter, en temps de crises, surtout internes, sur l'aide des Pakistanais. 

 L'alliance avec le Pakistan correspond  aussi à une volonté historique de l'Arabie pour avoir un proche allié non arabe dans la région afin d'établir son hégémonie dans le monde arabe et de surmonter les défis auxquels elle est confrontée en matière de sécurité intérieure.

 Le point ridicule réside dans ce fait que l'Arabie Saoudite souhaite compter sur le soutien d'un pays non arabe pour asseoir sa domination et son hégémonie sur le monde arabe.

Pourquoi pas l'Egypte, ou le Maroc

A noter que deux pays arabes, au nord de l'Afrique, à savoir l'Egypte et le Maroc, sont deux alliés virtuels et réels de l'Arabie Saoudite. L'Arabie avait à un certain moment envisagé de faire adhérer ce dernier comme membre honoraire au Conseil de coopération du Golfe (CCG)  mais elle s'est heurtée à l'opposition des autres membres du Conseil. Rabat non plus n'y était pas tellement favorable.

 

Quant au gouvernement égyptien, quand bien il même il rétablit la stabilité politique, mais le pays restera pour une longue durée, confronté au risque de l'inversion, aux conflits et aux difficultés intérieures. Du point de vue de l'Arabie, l'Egypte est un pays tributaire de ses aides et doit continuer de l’être. Pas question pour elle que l’Egypte soit puissante et stable car elle serait capable de jouer son rôle historique dans le monde arabe et peut en conséquence se muer en un rival pour l'Arabie. En effet, l'Arabie préfère que l'Egypte reste un Etat faible, dépendant de ses aides et non pas un partenaire indépendant ayant ses propres objectifs.

 Le spectre de l'Irak

Sous le règne de Saddam Hussein en Irak, les Saoudiens avaient fait le jeu de ce régime, pour l'unique motif de faire saborder la révolution islamique en Iran, et empêcher son influence sur les pays du Golfe persique. Mais, Ils n'ont jamais vu en Irak, un partenaire fiable, même si à l'époque, la domination des Sunnites était absolue. Les Saoudiens n'ont jamais surmonté leur crainte de voir l'Irak, qui disposait d'une grande et puissante armée,  et qui avait des projets ambitieux, surtout celui d'assurer le leadership du monde arabe, de devenir un rival pour eux dans la région.

L'occupation américaine de l'Irak en 2003 a éliminé le danger de telles ambitions de l'Irak, tout en le remplaçant par un autre danger.  A l’instar de l'Egypte, l'Arabie avait transformé l'Irak en un pays tributaire et durant plus d'une décennie, elle avait des attitudes et comportements qui lui étaient très hostiles.  

Ainsi, ni l'Irak ni l'Egypte ne peuvent servir de partenaire fiable pour l'Arabie, car tous deux peuvent afficher des comportements qui sont, selon la perception de Riad, son apanage à elle-seule !

 L'ami jordanien

Il ne reste donc pas que l'amitié de la Jordanie, un pays confronté à de sérieuses difficultés économiques et fortement dépendant des aides du régime saoudien. La Jordanie, sous le règne de l'actuel pouvoir, ne constitue pas de menace pour l'Arabie, car les Saoudiens  ont  le sentiment de pouvoir coopérer avec les Jordaniens en matière de sécurité, d'autant plus que dans l'état actuel des choses, le régime jordanien a concentré plutôt ses efforts pour préserver son existence, en tant qu'une zone tampon entre  Israël et ses voisins instables.

 

Les rivalités historiques avec plusieurs arabes ont poussé l'Arabie à chercher une alliance avec un pays non arabe, fort du point de vue militaire, mais qui soit faible du point de vue économique. L'Arabie peut mettre à la disposition de ce pays ses moyens économiques et s’engager à y verser ses investissements, en échange d'une coopération militaire et sécuritaire. De plus, comme le Pakistan est un pays non arabe, il ne peut pas être l'adversaire dans le monde arabe. D’ailleurs, jamais dans son passé ni son présent, il n’a été lié pour son avenir au monde arabe.  

 Les intentions de la Turquie

Et ce contrairement à la Turquie, proche géographiquement du monde arabe ! En fait, l'Arabie a peur des intentions du gouvernement turc, et semble très contente de voir ce pays en proie actuellement aux conflits intérieures et aux protestations populaires sur fond d’accusations de corruption. Tout comme l'Arabie Saoudite, la Turquie se heurte à des questions d'ordre sécuritaire très sérieuses, comme en Syrie et en Irak. Cependant, la Turquie ne peut tolérer la politique saoudienne envers la Syrie qui ne répond pas, selon Ankara, aux intérêts turcs. L'Arabie et la Turquie peuvent coopérer ensemble dans des questions comme la Syrie, mais, elles ne peuvent jamais avoir un partenariat comme celui de l'Arabie avec le Pakistan. 

Les Saoudiens considèrent que le Pakistan peut être un partenaire parfait pour  eux, car il ne défie pas le rôle de l'Arabie dans le monde arabe et en même temps, il cherche son progrès au sein du monde musulman, tandis que les pays arabes sont plutôt gênants et dangereux.

 Passé commun

Dans les années 60, l'Arabie Saoudite s'est montrée favorable au penseur islamiste pakistanais, Abou Al-Aala Modoudi, et a donné son aval à son plan de créer une université islamiste à Médine pour propager les connaissances islamiques et pour renforcer la solidarité entre deux nations. Dans les années 70, les relations avec le Pakistan ont donné cette crédibilité pour l'Arabie pour affaiblir le nationalisme arabe et pour renforcer la coopération islamique.

Dans les années 80, le Pakistan a été impliqué dans la guerre djihadiste en Afghanistan, ce qui a transformé ce pays en un lieu de passage  pour les Djihadistes  saoudiens et arabes. Les deux pays ont un besoin réciproque, l'un de l'autre, pour diverses raisons. L'Arabie Saoudite envisage de s'en servir comme un moyen pour contrer l'Iran, pays que les Saoudiens considèrent, depuis plus de 3 décennies comme leur ennemi, tandis que le Pakistan veut en utiliser comme un moyen pour se protéger contre l'Inde ainsi que contre le danger de l'Afghanistan.

Mais, il est fort improbable que le Pakistan s'implique dans une guerre contre l'Iran, tout comme l'avait fait Saddam dans les années 80, d'autant  plus que ce pays est, lui-même, confronté à de sérieuses questions sécuritaires et à des problèmes très compliqués.