L’émir de Dubaï, refuse d’être enrôlé dans la «fitna», la guerre confessionnelle, qui guette le Proche-Orient, entre le clan pro-chiite, emmené par Téhéran, et la sphère sunnite, défendue par Riyad.
Dans une interview diffusée lundi 13 janvier par la BBC, le cheikh Mohamed a pris ses distances avec les positions de son voisin saoudien sur des dossiers aussi brûlants que le nucléaire iranien, la guerre en Syrie et la crise politique en Egypte, s'affranchissant ainsi de la logique des blocs qui cadenasse le Proche-Orient.
A quelques jours de l'entrée en application de l'accord intérimaire sur le nucléaire iranien, considéré avec anxiété au royaume des Séoud, Mohamed Ben Rached Al-Maktoum, qui est aussi le premier ministre des Emirats arabes unis, appelle à une détente avec le géant perse. «L'Iran est notre voisin et nous ne voulons pas de problème... Que les sanctions soient levées et tout le monde en profitera ».
Conclu le 24 novembre à Genève, l'accord entre la République islamique et le P5+1, les cinq membres du Conseil de sécurité des nations Unies et l'Allemagne, doit se matérialiser le 20 janvier prochain. Il prévoit une levée graduelle des sanctions commerciales et financières imposées à l'Iran en échange d'une limitation de l'enrichissement de l'uranium par Téhéran.
A rebours de l'opinion majoritaire dans les chancelleries occidentales et arabes, « cheikh Mo'», comme on le surnomme dans la région, estime que le programme nucléaire iranien n'a jamais eu de finalité militaire. Même du temps de Mahmoud Ahmadinejad, le prédécesseur de Hassan Rohani à la présidence, fameux pour ses diatribes belliqueuses. «Je pense qu'ils disent la vérité quand ils disent que c'est pour un usage civil. J'ai parlé à Ahmadinejad et il m'a dit : 'si j'envoyais un missile sur Israël, combien de Palestiniens seraient tués ? Et après les Etats-Unis et l'Europe détruiraient mes villes. Je ne suis pas fou pour faire des choses pareilles. C'est une arme du passé'.»
Considérations économiques
Ce positionnement s'explique en grande partie par des considérations économiques. Partenaire commercial traditionnel de Téhéran, terre d'asile ou d'expatriation de dizaines de milliers de marchands iraniens, Dubaï a pâti des sanctions imposées à son puissant voisin. Longtemps contournées grâce au florissant marché de la réexportation dont la ville-monde s'est fait une spécialité, ces mesures ont fini par affecter le volume des échanges entre les deux pays, qui a chuté d'un tiers en 2012. C'est donc avec un soulagement prudent que les Emirats ont salué la signature de l'accord de Genève et accueilli, quelques jours après Mohamed Javad Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien, en tournée d'apaisement dans le Golfe.
Mais il n'est pas interdit de voir dans les déclarations du cheikh Mohamed une réaction à la tonalité de plus en plus confessionnelle de la diplomatie saoudienne. Alors que la Syrie se transforme en terrain d'affrontement par procuration entre les deux aspirants au leadership régional - Riyad armant et finançant la rébellion contre le régime Assad, soutenu par les gardiens de la révolution iraniens - le monarque a réfuté toute idée d'engagement militaire. Les Emirats ne sont à l'aise que dans le soutien humanitaire aux réfugiés syriens, en Jordanie et en Turquie, a-t-il expliqué avant de déplorer la nature «extrémiste» de certains groupes armés rebelles.
Autre contrepied avec la ligne de Riyad : le représentant de la dynastie Al-Maktoum a estimé que l'homme fort de l'Egypte, le général Abdel Fattah Al-Sissi, que les rumeurs donnent comme candidat à la présidentielle du printemps, ne devrait pas se présenter à ce scrutin. «J'espère qu'il restera dans l'armée, et que quelqu'un d'autre [se présentera] à l'élection présidentielle», a-t-il déclaré. Une position tout de suite atténuée par une mise au point officielle. «Le conseil fraternel de cheikh Mohammad est que le général Sissi ne se présente pas à la présidentielle en tant que militaire, a rectifié un porte-parole du Conseil des ministres des EAU. Mais il est libre de se présenter en tant que civil, à la demande de son peuple».
En dépit de ces divergences, les Emirats demeurent farouchement opposés aux Frères musulmans. Comme l'Arabie saoudite, ils ont apporté un soutien financier immédiat à la coalition militaro-libérale qui s'est mise en place au Caire, après la destitution du président Mohamed Morsi, au mois de juillet. De crainte que les printemps arabes ne se propagent dans la fédération, des dizaines de militants du mouvement Islah, affilié aux Frères musulmans, y ont été emprisonnés ces deux dernières années.
source: france 24