Un papier de l’AFP
Les nouveaux gages donnés récemment par l'Iran envers la communauté internationale après huit ans d'isolement diplomatique sont plus la marque d'un pragmatisme de Téhéran qui ne changera pas radicalement de politique.
Pour les experts interrogés par l'AFP, le gouvernement du président Hassan Rohani fait de vrais efforts et en a récolté quelques fruits. Mais s'il a les mains libres pour négocier un accord nucléaire avec les grandes puissances, son mandat est limité pour le reste de la politique étrangère.
A Davos, M. Rohani a présenté le "nouveau visage" de l'Iran marqué par une forte volonté d'ouverture, une constante depuis son élection en juin 2013.
L'accord de six mois conclu avec les grandes puissances qui gèle une partie des activités nucléaires iraniennes contre la levée partielle des sanctions est un premier succès.
Les relations avec les Etats-Unis, rompues depuis 1980, s'étaient réchauffées avec une conversation historique entre M. Rohani et Barack Obama en septembre 2013. Leurs chefs de diplomatie, Mohammad Javad Zarif et John Kerry, se sont rencontrés plusieurs fois depuis, notamment début février à Munich en marge de la conférence internationale sur la sécurité. Auparavant, M. Zarif avait affirmé à la télévision russe qu'une ambassade américaine pourrait rouvrir un jour à Téhéran.
En Allemagne, M. Zarif a aussi qualifié l'Holocauste de "tragédie cruelle qui ne doit plus se reproduire", un geste envers la communauté juive - dont l'Iran abrite quelque 8.000 membres - initié par un message du président Rohani pour le Nouvel an juif. Les déclarations sur Israël étant voué à disparaître ont aussi disparu du discours gouvernemental.
MM. Rohani et Zarif "ont une vision différente de celle des responsables politiques et idéologiques précédents", explique Alireza Nader, du centre de réflexion américain Rand. "Mais il n'est pas clair si Rohani pourra faire des changements fondamentaux dans les questions qui inquiètent les Etats-Unis", comme le soutien iranien au Hezbollah libanais et le refus de Téhéran de reconnaître Israël.
Sur le nucléaire, M. Rohani bénéficie d'un soutien encore clair du guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei. Le président peut rester sourd aux critiques de l'aile dure du régime, alors que des députés ont critiqué les rencontres trop fréquentes entre M. Zarif et John Kerry.
'Deux discours'
Pour Afshon Ostovar, du Centre des études stratégiques américain CNA, le gouvernement tient deux discours différents. "Quand Zarif rejette la négation de l'Holocauste, c'est pour les gouvernements étrangers et leurs opinions publiques. Quand il critique Israël et plus largement le sionisme, c'est pour calmer les durs du régime en Iran", dit-il.
Le changement "est plus dans le ton que dans l'absolu" car la politique du régime n'a pas changé radicalement même s'il y a une demande plus forte de coopération avec l'Ouest, estime-t-il.
"Les fondements de la politique étrangère iranienne ne changent pas", souligne Mehdi Fazaeli, analyste proche des conservateurs. "Un gouvernement peut changer de tactique et d'approche". M. Rohani a ainsi "changé de méthode pour obtenir la confiance" des Occidentaux, ajoute-t-il.
Mais le pouvoir garde ses "lignes rouges", selon les analystes: il veut maîtriser la technologie nucléaire civile, il refuse de reconnaître Israël et soutient le pouvoir syrien, son allié stratégique et courroie de transmission vers le Hezbollah qui combat l'Etat hébreu.
Le gouvernement "a pris en main les négociations sur le nucléaire, mais il ne décide pas des grandes orientations de la politique nucléaire", prérogative du Guide, explique un diplomate occidental en poste à Téhéran.
Selon ce diplomate, le gouvernement "n'a clairement pas de mandat" pour la Syrie et répète que M. Zarif ne discute jamais du conflit syrien avec John Kerry.
Pas question non plus de reconnaître Israël car "l'antisionisme est dans l'ADN de la République islamique", ajoute le diplomate. M. Zarif a formellement démenti avoir évoqué à la TV allemande une éventuelle reconnaissance de l'Etat hébreu en cas de paix avec les Palestiniens.
Quant aux relations avec Washington, "l'Iran souhaite un modus vivendi plutôt qu'une normalisation", estime-t-il. Les deux pays se sont rapprochés sur des intérêts communs comme l'Afghanistan en 2001 ou dernièrement pour soutenir le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki dans la bataille d'al-Anbar.