Une interview avec l’auteur de l’ouvrage "La mouvance zaydite dans le Yémen contemporain. Une modernisation avortée"
Les rebelles chiites tentent de se positionner en force politique et militaire au Yémen en prévision de la délimitation des provinces d'un futur Etat fédéral, explique à l'AFP Samy Dorlian, auteur de l'ouvrage "La mouvance zaydite dans le Yémen contemporain. Une modernisation avortée", paru en septembre 2013.
Les rebelles ont lancé plusieurs offensives contre des tribus appuyées par des islamistes et pris le contrôle de plusieurs localités à la faveur d'affrontements qui ont fait plus de 150 morts, et qui visent à se positionner territorialement avant la création de l'Etat fédéral.
Q: Qui sont ces rebelles, appelés "Houthis" et qui se sont récemment donné le nom d'Ansarullah?
R: "C'est un groupe qui était en conflit avec l’Etat et qu'une guerre a opposé, de 2004 à 2010, au pouvoir de Ali Abdallah Saleh dans la province de Saada, dans le nord du Yémen. Il a joué un rôle actif dans le soulèvement de 2011 contre le pouvoir à travers les jeunes de cette mouvance qui étaient présents sur la place du Changement à Sanaa. A l'été 2011, ils sont passés de la défensive à l'offensive, et imposé leur domination militaire sur la province de Saada, berceau historique du zaydisme. Aujourd'hui, il est clair qu'ils ne sont plus une force marginale et veulent une part significative du pouvoir".
Q: Les combats qui les opposent aux tribus dans le nord sont-ils une guerre confessionnelle entre sunnites et chiites?
R: "C'est uniquement l'une des dimensions du conflit. Les zaydites sont des chiites, mais qui ne sont ni duodécimains (croyance en douze imams, ndlr) comme leurs coreligionnaires en Iran, en Irak ou au Liban ni septimains (croyance en sept imams) comme les Ismaéliens. Ils ont en commun les quatre premiers imams mais ont ensuite leur propre lignée à partir du cinquième imam, Zayd. Au Yémen, l'imamat zaydite a duré un peu plus d'un millénaire, depuis 897, et jusqu'au renversement de la dynastie des Hamid al-Din lors de la révolution de 1962.
Depuis quelques années, les "Houthis" se sont rapprochés de l'Iran et du point de vue organisationnel, politique, médiatique, ils sont devenus plus proches du chiisme dominant. Par exemple, ils affichent maintenant ouvertement leur soutien à l'intervention du Hezbollah libanais aux côtés du pouvoir de Bachar Al-Assad, mais nient participer aux combats en Syrie.
Par contre, les Al-Ahmar (sunnites, ndlr) et autres tribus s'inscrivent dans la tradition de sunnisation du zaydisme. Ils sont politiquement alliés au parti islamiste al-Islah et aux salafistes qui combattent à leurs côtés".
Q: Quel est l'objectif des combats qui se sont déroulés dans la province de Omran, et quelle est leur dimension tribale?
R: "Ces combats avaient un objectif : qui va contrôler le plus de territoires. Avec leur progression, Ansarullah veut dire qu'ils auront le fin mot et qu'il n'y aura pas de partage de pouvoir avec les Al-Ahmar dans le prochain État fédéré.
Ces combats semblent, dans une certaine mesure, marquer l'effritement du pouvoir traditionnel des tribus car l'ancien chef des Hached, cheikh Abdallah Al Ahmar, qui était en même temps le président du parlement et du parti al-Islah, incarnait la symbiose entre les tribus, l'islam et la république. Il y a des tribus de Hached qui historiquement n'étaient pas d'accord avec la prépondérance des Al Ahmar. Ces tribus qui avant 2011 s'appuyaient sur l'ex-président Saleh se sont donc tournées vers les Houthis".