Les Etats-Unis sont une aberration dans le monde libre pour le nombre de personnes condamnées à ce type d’incarcération et la durée.
Plus de 80.000 détenus américains sont actuellement en isolement disciplinaire, dont certains depuis de longues années, une pratique jugée inhumaine par les troubles psychologiques et mentaux qu'elle entraîne, selon des experts américains.
"Les Etats-Unis sont une aberration dans le monde libre pour le nombre de personnes condamnées à ce type d'incarcération et la durée", a estimé Craig Haney, professeur de psychologie à l'Université de Californie, qui a interviewé plus de 500 de ces prisonniers.
Dans certains systèmes pénitentiaires, il n'est pas rare que des détenus passent dix ans, voire plus, en régime cellulaire, a-t-il expliqué à la conférence annuelle de l'Association américaine pour l'avancement de la science (AAAS) réunie à Chicago du 13 au 17 février, où il a présenté ses travaux vendredi, avec d'autres experts.
Les conditions sont extrêmement dures, les prisonniers passant tout leur temps dans une cellule de 7,5 mètres carrés, sans fenêtre, qu'ils quittent brièvement chaque jour pour faire de l'exercice seul, pas dans une cour extérieure mais dans une pièce fermée, a-t-il précisé.
Le plus souvent ces détenus n'ont pas le droit de recevoir de visite et d'appel téléphonique, et finissent par perdre tout contact avec le monde. Ils développent souvent des troubles d'identité, perdent le sens de l'orientation, et certains développent des phobies du contact avec les autres, a constaté ce psychologue.
Le taux de dépression, de symptômes d'anxiété et de difficultés à contrôler ses pulsions et de concentration, est très élevé, a-t-il aussi relevé, notant qu'au total, la moitié de cette population carcérale souffrait de troubles mentaux.
"Je me perds dans mon quartier"
Robert King, sorti de prison en 2001 et qui a passé 29 ans en isolement, a raconté devant la presse à la conférence de l'AAAS, avoir encore des séquelles de cette expérience.
"J'ai des difficultés aujourd'hui à m'associer avec les gens qui m'entourent et parfois je me perds dans mon quartier. Et quand je vais à la Nouvelle Orléans, la ville où je suis né, j'ai le plus grand mal à retrouver les lieux qui m'étaient pourtant familiers quand j'étais jeune", a-t-il raconté. "Je pense que cela résulte de mon isolement prolongé en prison", a-t-il estimé.
L'ancien détenu --qui avait été reconnu coupable d'un meurtre en prison--, a aussi dit avoir subi une forte baisse de sa vision quand il était en isolement disciplinaire, un phénomène apparemment fréquent chez ces détenus.
Pour Huda Akil, professeur à l'Institut de neuroscience à l'Université du Michigan, tous ces symptômes ne sont pas surprenants.
"Le manque d'activité physique, d'interactions avec d'autres humains, l'absence de stimulation visuelle, de contact physique (...) chacun de ces facteurs étudié chez l'homme et des animaux suffit en soi à affecter le cerveau", a-t-elle expliqué.
"L'ampleur de cet impact cérébral dépend de leur durée" ont aussi révélé ces recherches, selon la scientifique.
Cette absence presque totale de stimulation pendant des périodes aussi prolongées entraîne littéralement un rétrécissement d'un grand nombre de structures du cerveau chez ces prisonniers, a-t-elle résumé.
Une de ces zones cérébrales implique la mémoire, la reconnaissance de l'environnement et le contrôle des émotions, relève la neurologue.
Jules Lobel, président du Centre pour les droits constitutionnels et professeur de droit à l'Université du Michigan, estime que ce traitement, qui prive ces prisonniers de tout contact social, "constitue une violation de la Constitution américaine et du droit international car il est cruel, inhumain et dégradant".
Il a engagé une action en justice contre l'Etat de Californie, au nom de mille prisonniers de la prison de Pelican Bay, dont certains ont été placés en isolement plus de 20 ans, a-t-il indiqué à la conférence de l'AAAS.
Peter Scharff Smith, un chercheur de l'Institut danois des droits de l'homme, a rappelé que des études faites au 19e siècle en Europe, notamment avec des centaines de milliers de prisonniers maintenus en isolement, avaient montré qu'un grand nombre devenaient mentalement malades.