Gül donne son feu vert à la réforme très critiquée du Haut conseil des juges et procureurs.
Des milliers de personnes ont à nouveau défilé mercredi dans les rues de Turquie pour dénoncer la corruption du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, alors que le gouvernement a promulgué sa loi très critiquée renforçant son emprise sur la justice.
Partie dès mardi soir de façon largement spontanée dans une dizaine de villes, la vague de contestation s'est poursuivie à Istanbul et Ankara aux mêmes cris de "gouvernement, démission!" et "au voleur!", après la diffusion d'une conversation téléphonique qui a pour la première fois directement mis en cause M. Erdogan.
Réunis à l'appel du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), ces manifestants ont distribué des faux billets, symboles de la "corruption" du régime au pouvoir depuis 2002, sur la place Taksim à Istanbul, lieu central de la fronde antigouvernementale de juin 2013.
"Nous allons préserver nos citoyens de notre pays de ces agissements détestables et négatifs, si Dieu le veut", a lancé le candidat du CHP à la mairie d'Istanbul, Mustafa Sarigül, à un mois du scrutin municipal du 30 mars.
"Ce Premier ministre et son gouvernement n'ont plus de légitimité, il n'y a pas d'autre solution que leur départ", a renchéri une des manifestantes, Sema, qui "espère que nous y parviendrons par la voie des urnes".
Dans la capitale Ankara, plus d'un millier de personnes réunies à l'appel de plusieurs syndicats de gauche ont également exigé la démission de M. Erdogan.
Deux mois après le début du scandale, la publication lundi soir sur YouTube de l'enregistrement de plusieurs conversations téléphoniques compromettantes attribuées au Premier ministre et à son fils Bilal a enflammé le pays à nouveau.
Dans ces échanges écoutés par plus de trois millions d'internautes, M. Erdogan ordonne à son fils de faire disparaître de fortes sommes d'argent -- le chiffre de 30 millions d'euros est cité --, deux heures après le coup de filet ordonné le 17 décembre par la justice contre des dizaines de proches du régime soupçonnés de corruption.
M. Erdogan a vigoureusement contesté mardi leur authenticité et dénoncé une "attaque abjecte", aussitôt attribuée à ses ex-alliés de la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, très influents dans la police et la justice.
- Feu vert présidentiel -
"Il faut admettre le caractère illégal de tout ça", s'est offusqué mercredi le président du Parlement Cemil Ciçek, fustigeant un "acte immoral". "J'ai compris très vite qu'il s'agissait d'un montage", a renchéri le ministre de la Technologie, Fikri Isik.
L'opposition a au contraire confirmé l'authenticité des bandes. "Elles sont aussi réelles que le mont Ararat", a assuré le président du CHP Kemal Kiliçdaroglu.
Dans ce climat de forte tension, le président Abdullah Gül a finalement donné mercredi son feu vert à la réforme très critiquée du Haut conseil des juges et procureurs (HSYK), malgré les appels au veto qui lui avaient été adressés.
Ce nouveau texte, qui a suscité de violents débats ponctués de coups de poing entre députés rivaux au Parlement, autorise le ministre de la Justice à fixer l'ordre du jour du HSKY et à ordonner des enquêtes sur ses membres, et lui donne la dernière main sur les nominations des hauts magistrats.
Déposée en janvier, la réforme a déchaîné les critiques de l'opposition et suscité les mises en gardes répétées de l'Union européenne à la Turquie, candidate à l'adhésion, au nom de "l'indépendance de la justice".
Signe de la gêne suscitée en Turquie même par la nouvelle loi, M. Gül, qui s'est récemment éloigné de la ligne intransigeante suivie par M. Erdogan, a relevé dans le texte "15 dispositions clairement contraires à la Constitution", mais il s'est satisfait des retouches opérées pendant le débat parlementaire.
Le CHP a immédiatement saisi mercredi la Cour constitutionnelle de ce texte.
Après une première loi renforçant le contrôle de l'internet et une vague de purges sans précédent dans la police et la justice, la réforme judiciaire ne vise à rien d'autre, selon l'opposition, qu'à étouffer les accusations de corruption portées contre le régime.