Qui va financer la sortie d’une crise profonde dans le contexte où même les vainqueurs ont du mal à s’entendre ?
Après la normalisation de la situation en Ukraine, ce pays pourrait constituer « un prix géopolitique que personne ne sera en mesure d’utiliser », selon l’agence d'information américaine AP. L'agence cite des experts américains pour mettre en garde contre un excès d'euphorie à propos des changements rapides à Kiev.
L'analyste d'AP Wayne Merry estime que lorsque la poussière soulevée par les affrontements dans le centre de Kiev retombera, la question de l'argent surgira inévitablement. Qui va financer la sortie d'une crise profonde dans le contexte où même les vainqueurs ont du mal à s'entendre ?
De l'avis de l'expert, objectivement l'Ukraine se trouve« suffisamment bas » sur la liste des priorités étrangères des Etats-Unis par rapport notamment au problème syrien, au règlement palestino-israélien et au dossier nucléaire iranien. Le professeur Jonathan Adelman estime que les Etats-Unis « ne seront pas enthousiasmés par l'idée de dépenser des dizaines de milliards de dollars pour prendre l'Ukraine en charge ». Si les Etats-Unis ne payent pas, est-ce à l'Europe de débourser ? Sur le Vieux continent les états d'esprit sont encore plus contradictoires. Les dirigeants de l'Union européenne saluent ce qu'ils appellent des « changements démocratiques » à Kiev, mais ils ne peuvent trouver les 20 milliards d'euros hypothétiques que pour prévenir le défaut de paiements de l'Ukraine. Les perspectives à long terme de l'économie ukrainienne demeurent incertaines.
En revanche, l'Europe se rend bien compte des risques découlant des débordements nationalistes et politiques incontrôlables à Kiev. C'est particulièrement évident pour les Etats voisins de l'Ukraine, ceux du groupe de Visegrad. Les ministres des Affaires étrangères de Hongrie, de Pologne, de Slovaquie et de la République tchèque réunis spécialement à Budapest ont privilégié les aspects politiques du problème au détriment du côté financier. « Il n’est pas dans notre intérêt que l'Ukraine soit l'objet d'un enjeu géopolitique, mais un pays démocratique normal ayant des relations saines aussi bien avec l'Union européenne qu'avec la Russie », a souligné le chef de la diplomatie tchèque Lubomir Zaoralek.
Entre-temps, le chaos et l'anarchie en Ukraine, aggravés par la rhétorique géopolitique de l'Occident, sont lourds non seulement de dégâts économiques concrets et d'une nouvelle spirale de contradictions en Europe, mais aussi de conflits interethniques dangereux à l'image de l'ex-Yougoslavie, bien que plus graves encore. Dans le cas de l'Ukraine, l'escalade de la violence et du nationalisme entraînera inévitablement dans la confrontation la Hongrie, la Roumanie, la Turquie et d'autres pays qui se verront obligés de venir en aide à leurs compatriotes ou à leurs coreligionnaires en Transcarpatie, en Bucovine et en Crimée. Plus encore, la Transnistrie martyre sera aussi concernée par ces « règlements de comptes » selon le chef du Centre des études politiques de l'Institut d'économie de l'Académie des sciences de Russie Boris Chmelev :
« A l'heure actuelle l'Europe dérive non seulement vers les partis d'extrême droite et ultra-gauchistes, mais aussi vers les structures exerçant un impact destructeur sur l'ensemble du système des liens politiques et sociaux entre les Etats européens. La situation que nous constatons actuellement en Europe reflète une crise profonde de la démocratie européenne en générale et, plus particulièrement, des partis européens. »
Le directeur du Centre d’études politiques et de conflictologie de Kiev Mikhaïl Pogrebinski a rappelé dans un entretien à La Voix de la Russie qu'un ancien projet était actuellement réanimé en Ukraine :
« Il est clair qu'il s'agit d'un sujet politique. Si l'on parle de la motivation politique, on assiste à la vieille attitude envers le pouvoir ukrainien datant de l'époque de la « révolution orange » de 2004 : tous ses partisans étaient considérés comme de « bons démocrates », tandis que ses adversaires étaient des « gens mauvais ». Un nouveau prétexte s'est présenté pour déclarer son attitude envers cette révolution. »
Il ne faut pas cependant oublier qu'une fois déclenché le processus peut échapper à la volonté de ses architectes qui auront du mal à le corriger. C'est là le principal danger des événements actuels en Ukraine. Ce qui était considéré initialement par l'Europe et les Etats-Unis comme une tentative pour faire revenir le pays dans le giron de l'intégration européenne, se transforme en une menace des plus dangereuses depuis la dislocation de la Yougoslavie pour l'ensemble de l'Europe.