Et des revirements qataris se font de plus en plus voir
La diplomatie irano-syrienne se complète avec les progrès réalisés par l’armée syrienne sur le terrain. Alors que le conflit saoudo-qatari s’accentue, et que l’échec américano-européen sur la scène syrienne devient de plus en plus important, l‘Iran a réussi à convaincre les européens de la nécessité de maintenir au pouvoir le président Bachar el-Assad.
Lorsque le ministre belge des Affaires étrangères s’est rendu en Iran le 22 février dernier, il a entendu des propos clairs sur la situation en Syrie. La position iranienne demeure inchangée: “La solution unique pour la Syrie est la formation d’un gouvernement d’union nationale élargie qui regroupe des représentants de l’Etat et de l’opposition, à condition que le président Assad reste au pouvoir ».
Au cours de cette visite, les dirigeants iraniens ont dénoncé fermement le rôle saoudien et qatari dans l’expansion du terrorisme. Pour eux, « ces deux pays, soutenu par la communauté internationale, détruisent la région et tous les efforts de paix en Syrie. Le terrorisme frappera l’Arabie Saoudite et le Qatar ».
Ils ont présenté des informations, des listes et des documents confirmant le soutien de ces deux pays aux terroristes. Ils ont évoqué le nom d’un frère du chef des renseignements saoudiens Bandar ben Sultan en tant qu’une source de financement. Le 26 février, soit quatre jours après la visite du ministre belge, le chef de la diplomatie qatari Khaled ben Mohamed el-Atiyeh est arrivé à Téhéran, au moment où des informations circulaient sur l’intention de Riyad de saboter le rôle qatari dans la région et par la suite mettre fin à l’action politique des Frères musulmans.
Téhéran n’a pas coupé ses relations avec le Qatar tout au long de la crise syrienne. Elle s’est mise souvent en colère et lui a adressé plusieurs lettres de conseil. Mais le Qatar avait déjà pris sa décision : « Il faut renverser Assad par la force et par l’argent».
Il est permis d’aspirer. Mais les rôles étaient dessinés avec précision. Riyad a laissé Doha aspirer au maximum. Elle a encouragé et soutenu Doha, pour lui montrer qu’elle lui est un véritable appui. Du moment où le rôle du Qatar en France s’est ébranlé, à cause du terrorisme au Mali, l’Arabie Saoudite a occupé sa place dans le cœur du président français François hollande. Dès que le rôle du Qatar en Egypte s’est affaibli après le renversement des Frères musulmans, l’Arabie Saoudite a commencé à payer des sommes d’argent et à soutenir le camp d’Abdel Fattah Sissi.
A ces mesures saoudiennes s’ajoutent le retrait des ambassadeurs du royaume, des Emirats Arabes Unis et du Bahrein de Doha, et l’inscription des Frères musulmans sur la liste des organisations terroristes.
Les revirements du Qatar
L’Iran attend. Assad aussi. Le premier est connu pour sa diplomatie de longue haleine. Alors que le deuxième y ajoute une option militaire qui a commencé à changer une grande partie de l’équation sur le terrain. Le ministre qatari est venu à Téhéran pour proposer une transaction complète.
Celle-ci est en cours d’être étudiée. La position qatarie demeure dure envers Assad. Mais tout pourra être revu. La contribution financière et morale qatarie dans la libération des religieuses de Maaloula est un grand titre à ce revirement qatari. Les sous-titres à ces changements sont aussi clairs, mais en coulisses. Parmi eux on cite l’arrêt du soutien qatari à des groupes combattants. Le reste apparaitra plus tard.
La diplomatie à l’Iran, le terrain à Assad
La coordinatrice de la politique étrangère de l’Union européenne Catherine Ashton est partie en Iran. Elle a entendu parler des mêmes priorités iraniennes : la lutte contre le terrorisme, une solution politique en Syrie selon les conditions précitées, de bonnes intentions dans le dossier nucléaire. Le reste est à discuter. La réponse d’Ashton est venue dans le même sens.
Elle a dit porter une lettre de bonnes intentions de 28 pays européens. Selon elle, ceci ouvrira la voie vers des ententes sur des causes plus stratégiques.
Téhéran est consciente du besoin de l’Europe de transactions économiques. Ce fait pourra constituer une importante carte iranienne face à l’administration de Barack Obama.
Yabroud reprise par la force ou la négociation
Les négociations 5+1 progressent. En parallèle, l’armée syrienne avance sur le terrain. Yabroud est sur le point de tomber, par les pourparlers ou par les combats. D’autres régions sensibles pourront tomber aussi dans les mains de l’armée syrienne. Assad ne veut pas tenir des élections présidentielles en juillet prochain. Il ne veut pas être réélu président avant que toutes les grandes villes soient dans ses mains, dont Alep.
Dans les négociations, Washington et Téhéran s’échangent les accusations. C’est normal. Obama en a besoin pour faire taire le lobby au Congrès et calmer Israël. Pour le moment, l’Iran a gagné plus qu’elle le prévoyait en 2005.
Les visiteurs européens à Téhéran ont ressenti une « volonté iranienne sérieuse pour parvenir à un accord final. Il fallait donc respecter la souveraineté et les droits de l’Iran en tant que membre dans la convention de la non-prolifération d’armes nucléaires au sujet de l’enrichissement d’uranium ». Les dirigeants iraniens affirment haut et fort : « Nous ne négocions pas par faiblesse. Les sanctions n’ont pas tué l’Iran, mais elles l’ont aidé à compter encore plus sur soi-même ».
Les Européens ont dit à l’administration d’Obama : «Arrêtez de menacer si vous choisissez l’option de négociations. N’embarrassez pas les négociateurs ». Les responsables iraniens ont clairement dit : « La bombe ne nous sert pas. Elle est contre notre croyance, pis encore, elle constitue une menace pour nous ».
L’Iran teste l’Occident et vice-versa. C’est ici que réside le cœur des changements dans la région. En cas de réussite de négociations, beaucoup de constantes changeront. L’Arabie Saoudite est inquiète. Cette inquiétude est justifiée. La question est liée à son rôle dans l’avenir. L’Iran est devenu le fer de lance dans la lutte contre le terrorisme. Pour cette raison, un tournant saoudien public et fort est devenu nécessaire avant l’arrivée d’Obama à Riyad en ce mois. Une liste du terrorisme a été ainsi publiée.
Les négociations Iran-UE comprennent aussi Gaza et l'avenir de la Palestine. Les Occidentaux réalisent que Téhéran ne négocie pas sur le principe de la résistance, mais les Européens ont commencé à tirer la sonnette d'alarme dans la bande de Gaza sur le plan humanitaire. Ils évoquent le danger du siège israélien et la fermeture des points de passage égyptiens. Gaza doit être donc incluse dans les pourparlers israélo-palestiniens. Les Européens se préparent à offrir ce qu'ils appellent «un paquet sans précédent» pour les parties palestinienne et israélienne. Cela suppose leur accord.
Toutes ces choses permettent-elles à l’Iran et ses alliés d’être optimistes ? Certainement que non.
Que faire si les négociateurs occidentaux demandent des mesures supplémentaires non prévues par le Traité sur la non-prolifération?
Que faire s’il s'avère que les inspections sur le nucléaire permettent un espionnage transatlantique sur les armes classiques? Les points d'intersection existent entre les armes classiques et nucléaires.
Que fera l’Iran avec la loi applicable depuis 2005, et qui stipule la construction de 20 réacteurs nucléaires à des fins pacifiques. Ces sites ont besoin d’enrichissement.
Que faire si l'Arabie saoudite et des pays occidentaux décident de transporter des armes dangereuses en Syrie dans une tentative de renverser l’équation et d’atteindre de nouveau Damas ?
Que faire si Israël décide de mener une action militaire pour renverser l'équation?
Des questions se posent. Mais l'Union européenne est à la recherche d’issues. Par exemple, la formation d'un consortium international pour fournir à l'Iran ce qu'il lui faut dans le domaine de l'enrichissement. Ils pensent que ceci l’aidera et justifiera l'abandon de l'enrichissement. Iran n'a pas encore accepté. Il n’a pas encore suspendu la production de l’eau lourde à Arak, même si le travail dans ce réacteur a cessé. Les Occidentaux craignent que cela pourrait conduire à la production du plutonium capable de fabriquer une bombe.
L’Iran à Genève-2
Le ministre belge, suivi par Ashton, ont propose d’intégrer l'Iran de nouveau dans la conférence de «Genève 2» sur la Syrie. Téhéran avait choisi Vienne pour mener ses négociations à la place de Genève pour exprimer son insatisfaction de l'attitude de l'Occident envers elle à Genève.
Le vice-ministre iranien des Affaires étrangères Hassan Abdel Allahaan a proposé devant un ministre européen d’intervenir aupres de la Syrie sur les affaires humanitaires en formant une commission irano-syro- européenne. Les Iraniens ont dit qu'ils aident les réfugiés syriens, en particulier en Jordanie et au Liban. Ils ont parlé de leur rôle avec le Hezbollah dans les rapprochements afin d’atténuer les conflits. Il a été question d’une possible coopération entre le Croissant-Rouge syrien et la Croix-Rouge européenne.
Ces développements stratégiques entre l'Iran et l'Europe ont coïncidé avec le renforcement du rapprochement turco-iranien. Le besoin actuel de Recep Tayyip Erdogan de Téhéran, au milieu d'une attaque de son ancien allié et ennemi actuel Fethullah Gülen est grand. Il a été question récemment de la coopération avec la Russie pour protéger les Tatars en Ukraine. La possibilité de réunions turques, qataries, iraniennes, et peut-être russes, n’est plus exclue.
Comment cela se traduira en Syrie?
Les choses sont plus claires que par le passé. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif intensifiera les rencontres avec Ashton jusqu'à Juillet prochain. Ainsi, le temps des élections syriennes viendra. La situation en Ukraine deviendra plus claire, ce qui permettra de conclure des transactions plus larges et plus importantes.
Les Européens ont rassuré Téhéran de leur manque d'enthousiasme pour une escalade avec Poutine et qu’ils ont tendance à conclure des accords. La situation militaire en Syrie deviendra aussi plus claire.
Tout indique donc que les prochains mois sont décisifs, dangereux et ouverts à de multiples possibilités.
source: al-Akhbar - Sami Kleib