Et des cheikhs attisent la haine sectaire
S'agit-il d'une explosion de colère spontanée, d'une vengeance aveugle, ou d'un plan bien étudié visant à transporter la guerre syrienne au Liban?
C'est la question que se posent des milieux politiques libanais préoccupés par la stabilité du pays et soucieux de sa sécurité, après les attaques en règle contre l'Armée libanaise à Tripoli et les violences provoquées dans de nombreuses régions du pays, hier, au nom de "la solidarité avec Ersal".
Des signes inquiétants montrent une volonté claire d'escalade contre l'Armée libanaise, dont les patrouilles et les positions ont été systématiquement prises pour cible par des miliciens libanais partisans des rebelles syriens à Tripoli et ailleurs.
Des armes automatiques, des roquettes et des grenades ont été utilisées dans ces attaques, qui ont fait plusieurs blessés dans les rangs de la troupe. Mais le fait nouveau est l'explosion d'une bombe au passage d'un véhicule militaire, ce qui fait craindre le franchissement d'un nouveau palier dans la violence.
Le principal instigateur de cette vague de violence est le cheikh extrémiste tripolitain
Salem al-Raféï, qui, au nom de la "solidarité avec Ersal", s'emploie à chauffer à blanc les esprits.
L'armée avait accru ses mesures de sécurité autour de cette localité de l'est de la Békaa, où des centaines de rebelles syriens et étrangers ont trouvé refuge fuyant l'avancée de l'armée syrienne à Yabroud, et par où transitent les voitures piégées envoyées dans d'autres régions libanaises, comme celle qui a explosé, dimanche soir, à Nabib Othman.
Très vite, la solidarité avec les habitants de Ersal s'est transformée en attaque frontale contre l'Armée libanaise. «Le blocus imposé à Ersal doit être immédiatement levé et l'armée doit se retirer de Bab el-Tebbané sans plus tarder» a exigé hier soir cheikh Rafeï devant une foule en colère, rassemblée devant les mosquées de Tripoli. Les protestataires ont appelé carrément au jihad.
«Le peuple veut le jihad. Nous ne voulons pas de l'armée», ont-ils scandé devant la mosquée as-Salam. Cheikh Rafeï a ajouté que «si les militaires ne sont pas capables de lever le blocus de Ersal, eh bien qu'ils retournent à leurs casernes.»
Du Liban-Nord à Saadiyat, en passant par Beyrouth, des groupes, agissant selon un plan orchestré, ont coupé les routes à l'aide de pneus enflammés et ont agressé les automobilistes, sur fond de slogans sectaires. Leur revendication: lever le «blocus» imposé à Ersal par l'armée.
Dans le secteur de Kaskas, des inconnus ont ouvert le feu contre les soldats accourus pour rouvrir la voie publique, provoquant une riposte qui a fait un mort parmi les protestataires.
L'exacerbation du discours sectaire par les cheikhs et les chefs de groupes armés embarrasse considérablement le Courant du futur, qui voit les mouvements extrémistes grignoter sa base populaire. Mais au lieu d'y faire face énergiquement, en défendant la primauté de l'Etat, les chefs de ce parti se livrent à une surenchère verbale et politique.
L'ancien Premier ministre, Saad Hariri, a ainsi annoncé mardi sa solidarité avec les habitants de Ersal et de Tripoli "qui ne se soumettrons pas aux menaces de ceux qui ont les mains souillées par le sang du peuple syrien".
Il a appelé l'Etat à assumer ses responsabilités et à protéger les habitants de ces deux régions libanaises.
Dans un communiqué publié mardi soir, M. Hariri a assuré que "l'histoire évoquera la responsabilité du Hezbollah dans la contamination du Liban par le feu syrien, à cause de l'implication du parti dans la guerre syrienne, dans le but de soutenir le régime de Bachar Assad, au détriment du peuple syrien et de la sécurité du Liban."
A aucun moment, M. Hariri n'a évoqué le désarmement des milliers de rebelles syriens, dont des centaines de membres du Front al-Nosra-la branche syrienne d'Al-Qaïda-qui ont transformé Ersal en sanctuaire d'où l'armée libanaise avait été chassée après le meurtre du commandant Pierre Bachaalany et du caporal Mohammad Zahraman, en février 2012.
Médiarama