Le président turc dénonce le blocage de Twitter par le gouvernement. L’UE crie à la "censure".
La Turquie a bloqué jeudi soir l'accès à Twitter, quelques heures après la menace lancée par le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan d'interdire le réseau social en représailles à la publication d'enregistrements d'écoutes téléphoniques le mettant en cause dans un scandale de corruption.
"Nous allons supprimer Twitter. Je me moque de ce que pourra dire la communauté internationale", avait lancé M. Erdogan devant des milliers de partisans lors d'un rassemblement électoral à dix jours du scrutin municipal du 30 mars.
"Ils verront alors la force de la Turquie", avait-t-il ajouté.
La nouvelle de l'arrêt de Twitter n'a pas été confirmée officiellement par le gouvernement d'Ankara.
Sur le site de l'autorité des télécoms turcs (TIB), on peut cependant trouver l'énoncé de quatre décisions de justice sous la référence "twitter.com" suggérant qu'une décision officielle a été prise dans le sens de cette interdiction.
L'une des quatre décisions citées affirme ainsi qu'"une mesure de protection a été prise à l'égard du site twitter.com à la suite d'une décision du bureau du procureur général d'Istanbul et qu'elle a été mise en oeuvre par la TIB.
De leur côté, les responsables clientèle de Twitter ont indiqué sur leur site comment contourner le blocage via le service texte du réseau de téléphone mobile.
Depuis trois semaines, M. Erdogan était personnellement mis en cause par la diffusion sur les réseaux sociaux d'enregistrements de conversations téléphoniques piratées.
Ces écoutes, que le chef du gouvernement avait d'abord dénoncées comme des "montages" avant d'en reconnaître certaines, a provoqué la colère de l'opposition et plusieurs manifestations dans les grandes villes du pays pour exiger sa démission.
Depuis la mi-décembre, le Premier ministre, qui dirige sans partage la Turquie depuis 2002, est éclaboussé par un scandale de corruption qui a vu des dizaines de ses proches inculpés pour une série de malversations.
Le président turc dénonce le blocage de Twitter par le gouvernement
Pour sa part, le président turc Abdullah Gül a dénoncé vendredi la décision d'Erdogan.
"On ne peut pas approuver le blocage total des réseaux sociaux (...) J'espère que cette situation ne durera pas longtemps", a écrit le chef de l'Etat.
M. Gül, qui avait déjà une première fois contredit le Premier ministre quand celui-ci avait menacé aussi d'interdire Facebook et Youtube le mois dernier, a une nouvelle fois exprimé sa différence.
"Comme je l'ai déjà précisé à maintes reprises, il est en fait impossible de bloquer entièrement l'accès technique à des plateformes sociales telles que Twitter", a répété vendredi le chef de l'Etat, soulignant que seuls certains sites directement visés par la justice pouvaient faire l'objet d'une fermeture.
L’opposition saisit la justice
Vendredi, la principale force d'opposition au Parlement, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le président de l'Association des barreaux turcs (TBB), Metin Feyzioglu, ont saisi la justice pour réclamer un sursis de l'exécution de l'autorité gouvernementale des télécommunications (TIB) d'interdire le site de microblogging.
L’UE crie à la "censure"
La commissaire européenne en charge des Nouvelles technologies, Neelie Kroes, a vivement dénoncé dans la nuit de jeudi à vendredi l'annonce du blocage par la Turquie de l'accès à Twitter.
"L'interdiction de twitter en Turquie est sans fondement, inutile et lâche", a affirmé la commissaire européenne. "Le peuple turc et la communauté internationale verront cela comme une censure. Ce qui est bien le cas", a-t-elle indiqué, en choisissant de réagir précisément sur son compte Twitter.
Au début du mois, le chef du gouvernement avait déjà menacé d'interdire YouTube et Facebook.
"Nous sommes résolus à ne pas laisser le peuple turc être esclave de YouTube et Facebook", avait-il déclaré lors d'un entretien télévisé, "nous prendrons les mesures nécessaires, quelles qu'elles soient, y compris la fermeture".
M. Erdogan accuse ses ex-alliés de la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, très influente dans la police et la justice, d'être à l'origine des enquêtes qui visent ces proches pour précipiter sa chute à la veille des élections municipales du 30 mars et dans la perspective de la présidentielle prévue en août prochain.
Le Premier ministre a fait de ce scrutin local un référendum pour ou contre sa personne.
Sa déclaration contre les réseaux sociaux intervient après le vote d'une loi qui renforce le contrôle d'internet. Ce texte a été dénoncé comme "liberticide" en Turquie comme dans plusieurs capitales étrangères, notamment à Bruxelles et à Washington.
Le Turquie est considérée par les ONG de défense des libertés comme un des pays les plus répressifs en matière de contrôle du Web.
Le pays, qui compte plus de dix millions d'utilisateurs de Twitter, a interdit l'accès à des milliers de sites ces dernières années.
Pour l'organisation internationale Internet Publishers Association, qui regroupe des éditeurs en ligne, le blocage de Twitter est une tentative de "destruction de la liberté d'expression".
"Le Premier ministre a le pouvoir de couper Twitter mais cela confirmera (que la Turquie) est une dictature", a déclaré l'organisation dans un communiqué.