24-11-2024 01:36 AM Jerusalem Timing

De Bandar à Mohammad ben Nayef : vers où se dirige l’Arabie?

De Bandar à Mohammad ben Nayef :  vers où se dirige l’Arabie?

L’Arabie a été le fer de lance de la contre-révolution pendant toute la période du Printemps arabe.

 

Aucun changement n’a eu lieu dans le discours saoudien depuis le début du printemps arabe à la fin 2010. La famille royale n’était en accord avec aucune des révolutions à l’exception de celles qui réalisent ses aspirations, telle qu’en Libye, où la révolution a écarté l’un des éléments qui a toujours été un cauchemar pour l’Arabie Saoudite.

Tel était le cas de la Syrie dans les premiers mois de la crise avant qu’elle ne se transforme en une guerre mondiale contre l’Etat et le régime.

Bref, l’Arabie a été le fer de lance de la contre-révolution pendant toute la période du Printemps arabe, elle a adopté trois stratégies: elle a tenté de contenir certaines révoltes (Egypte, Tunisie, Yémen), d’intervenir directement (Bahreïn), et de militariser la révolte (Libye et Syrie) indépendamment des résultats de cette stratégie, qui sans doute a eu des conséquences désastreuses sur les révolutions arabes en général.

Toutefois, les stratégies d'engagement ne produisent pas nécessairement un bénéfice net, surtout que l’Arabie Saoudite mise sur des conditions idéales. Elle s’attendait à la formation d’une coalition internationale solide, à l’attachement des groupes révolutionnaires à un plan militaire complet, et à une aptitude unique de leurs combattants à se sacrifier…

Les espoirs de l’Arabie se sont aujourd’hui dissipés, la stratégie d’engagement est apparue vaine, pis encore, ses résultats désastreux pourraient ébranler les bases de la stabilité du royaume. Actuellement, certains milieux politiques évoquent un changement de stratégie saoudienne envers plusieurs dossiers, dont le dossier syrien, après l’éviction de Bandar ben Sultan (ancien chef de renseignements saoudiens) de la direction de ce dossier, et la nomination du ministre de l’intérieur Mohammad ben Nayef pour traiter les conséquences de l’échec de la stratégie de Bandar dans l’exploitation des groupes armés (tels qu’al-Qaida, les éléments civils et militaires dissidents, et les bénévoles de l’Arabie et des autres pays du Golfe) dans le projet du renversement des autorités syriennes.

Les objectifs de la nomination de Ben Nayef

D’aucuns ont faussement cru que Mohammad ben Nayef a été nommé pour la direction du dossier syrien à la place de Bandar ben Sultan, et ceci n’est pas vrai, parce que Nayef est concerné avant tout dans le dossier de la sécurité intérieure, et le dossier extérieur ne relève pas de sa responsabilité, sauf s’il touche au volet intérieur. 

Le retour de Mohammad ben Nayef de Washington après une visite de trois jours entre le 11 et 13 février dernier a tracé les prémices d’une nouvelle étape dans le royaume saoudien, qui se prépare à une lutte difficile dans la stratégie de la lutte contre le terrorisme, suite à l’annonce du décret royal sur le retour des combattants saoudiens civils et militaires de l’Arabie.

L’Arabie n’a point suspendu sa stratégie d’affaiblir l’Iran en appuyant les rebelles qui cherchent à renverser le régime syrien. Riyad veut donner l’impression aux alliés et ennemis qu’il œuvre pour développer un principe plus indépendant dans la politique extérieure après que le plus grand allié, les Etats-Unis ont changé leur politique concernant une action militaire contre la Syrie, et ont entamé des pourparlers avec le plus grand ennemi du royaume, l'Iran.

Sans aucun doute, Riyad est confronté à une grande difficulté dans la réalisation de ses objectifs en Syrie, suite aux divergences au niveau des intérêts américano-saoudiens sur la Syrie. 

Du point de vue américain, le renversement du président Bachar Assad ne vaut pas le soutien des groupes salafistes wahhabites. De plus, un accord avec l’Iran sur le dossier nucléaire et d’autres dossiers, dont le dossier syrien, pourrait épargner Washington de pertes stratégiques. Pour Riyad, l’accord irano-américain éveille les craintes saoudiennes et le régime wahhabite y voit une menace à son entité.

A la recherche de groupes wahhabites modérés! 

Sachant que la majorité des groupes armés en Syrie sont en désaccord avec le régime saoudien, même si leur idéologie était aussi wahhabite. Riyad a en effet commis une erreur en soutenant une alliance de brigades et de groupes djihadistes sous la bannière du front islamique et a voulu le présenter comme étant modérés. Mais les alliés n’ont pas tardé à réaliser que ce front islamique ne diffère pas politiquement, militairement et idéologiquement d’al-Qaida, du front annosra et de l’EIIL, et que le slogan de la lutte contre la régime syrien pourrait changer à tout moment et devenir « la lutte contre le régime saoudien ». 

Les tentatives saoudiennes de reproduire un groupe modéré issu des groupes d’al-Qaida en Syrie ont été vouées à l’échec. Les Etats-Unis et les pays européens soutenant le renversement du régime syrien sont devenus convaincus que l’Arabie Saoudite est la productrice du terrorisme et des terroristes.

 Les Etats-Unis et l’Europe ont essayé de toutes les forces de chercher des groupes modérés parmi les djihadistes salafistes, mais en vain. Pour cette raison, ces pays ont fait savoir à Riyad que la modération se réalise à travers la mise en place d’une alliance religieuse laïque en Syrie et que les Saoudiens doivent démontrer que les rebelles constituent une alliance d’islamistes et de laïcs. 

La révolte de l’EIIL contre le commandement d’al-Qaida, représenté par Ayman Zawahiri, a confirmé l’impossibilité de contrôler les groupes liés à al-Qaida. Les Saoudiens ont de plus compris que le recours aux organisations pour affaiblir l’Iran et ses alliés a engendré des résultats réciproques.

Echec saoudien dans le dossier syrien

Ceci se reflète sur le terrain en Syrie. Le mutisme saoudien face à la victoire stratégique de l’armée syrienne à Yabroud qui annonce de nouveaux exploits militaires de l’armée régulière syrienne dans d’autres provinces syriennes signifie une chose : le dilemme saoudien. 

Ceci s’explique par :

 - Le soutien des groupes armés contredit le décret royal saoudien sur les combattants saoudiens à l’étranger, et les communiqués du ministère de l’intérieur classant l’EIIL, annosra et al-Qaida dans la catégorie des groupes terroristes. En même temps, Riyad œuvre pour empêcher le camp de l’Iran et de ses alliés de réaliser des exploits militaires et politiques rapides aux dépens des violentes répercussions attendues du retour des combattants à leur pays. L’Arabie veut protéger l’intérieur, avant que ces derniers ne deviennent la principale menace pour le pays.

- L’Arabie Saoudite craint que l’Iran ne réussisse à convaincre Washington sur le dossier syrien et sur les négociations directes de renoncer à l’idée de changer le régime en Syrie et d’adopter l’initiative iranienne de quatre points proposée sur Lakhdar Brahimi lors de sa visite à Téhéran il y a quelques jours.

- La source des craintes saoudiennes réside dans les résultats attendus. Le succès de l’Iran accentuera l’isolement de l’Arabie Saoudite, et amoindrira son influence sur l’équation régionale, à l’ombre de l’accentuation du conflit avec le Qatar, et la détérioration de ses relations avec la Turquie suite au renversement du régime des Frères musulmans en Egypte. A cela s’ajoutent des divergences profondes avec la Tunisie, le Soudan, Oman, Irak et des forces politiques sur toute l’étendue du Moyen-Orient.

- La direction saoudienne va essayer de raviver le soutien américain au projet du renversement du régime syrien, bien que Riyad ait entamé une révision globale de ses politiques en Syrie, sur la base que cette dernière est devenue une source du terrorisme. Cette tentative saoudienne pourrait prendre une autre forme, soit des pressions diplomatiques d’envergure. L’option du changement du régime syrien pourrait être retardée jusqu’à ce que les conditions soient prêtes, compte tenu de la popularité croissante du président Assad.

- L’absence de Bandar ben Sultan, le prince étourdi selon la qualification occidentale, et la nomination de Mohammad ben Nayef au dossier du terrorisme est évocateur. Il a pris à sa charge de lutter contre le terrorisme depuis la série d’attentats commis par al-Qaida en Arabie Saoudite en 2003 et la réussite du ministère de l’intérieur dans la stratégie de contenir al-Qaida à travers la confrontation directe.

Pour l’Arabie Saoudite, la priorité est désormais la mise en place d’une alliance anti-Qaida avant de reprendre l’action en Syrie, bien que les Saoudiens aient présenté avant quelques mois une proposition basée sur une double stratégie à deux volets : la confrontation d’al-Qaida et le renversement du régime en Syrie. Cette proposition s’est avérée ensuite qu’elle n’est pas sérieuse et qu’elle reflète une simplicité politique.

 Le facteur pakistanais dans l’équation syrienne 

A la fin de l’an dernier, l’Arabie Saoudite a semblé avoir retrouvé ce qu’elle recherchait pour le dossier syrien : elle a fait introduire l’élément pakistanais dans l’équation, sur le plan de l’armement et de l’entrainement. Des visites successives ont été effectuées par de hauts responsables saoudiens à Islamabad, comme Saoud el-Fayçal, le ministre des Affaires étrangères, Salmane ben Abdel Aziz, le prince héritier et le ministre de la défense). En contrepartie, le ministre pakistanais de la défense Rahil Charif s’est rendu en Arabie Saoudite, où il a mis en place un plan pour former une alliance du front islamique et de l’armée syrienne, capable de contrôler la formation d’un gouvernement transitoire sous la direction de la coalition nationale syrienne.

Le Pakistan a besoin de l’argent saoudien, ceci a constitué une motivation pour s’impliquer dans le dossier syrien, mais il existe de limites qu’Islamabad ne peut franchir : ses relations avec l’Iran, surtout après l’implication de groupes d’al-Qaida dans des attentats armés en Iran à partir du territoire pakistanais. Le soutien pakistanais ne sera pas illimité, et sera basé sur l’équipement des groupes armés en armes légères. La Russie a affiché sa colère face à la livraison des groupes armés de roquettes pakistanais anti-aériens et anti-chars avec un financement saoudien, ce qui a permis de changer les équilibres de force sur le champ de la bataille. Washington n’est pas satisfait de cette transaction, la raison en est claire : les craintes quant à l’obtention des factions extrémistes de ces roquettes.

Toutefois, il ne faut pas exagérer le rôle des roquettes pakistanais dans le changement de l’équation.

 La situation sur le terrain au profit des autorités 

La situation sur le terrain en Syrie évolue au profit du régime syrien. Alors que les divisions dans le front de l’opposition, dans son volet politique et militaire, se multiplient. Ceci ne signifie pas que la fin de la guerre prendra des années mais les autorités syriennes renforcent leur présence sur le terrain. L’Ukraine n’a pas affaibli la position russe mais elle l’a poussée à soutenir encore plus la Syrie, et à menacer de changer sa position sur le dossier nucléaire iranien dans ses pourparlers avec l’occident.

En général, l’accentuation du rôle de Mohammad ben Nayef dans le dossier des groupes armés signifie un changement de priorités saoudiennes. Riyad se contentera de pressions diplomatiques sur la Russie, l’Iran et le Hezbollah, jusqu’à la réalisation de l’objectif ultime : le renversement du régime syrien. 

Le chaos global : Tel est le résultat réalisé par Riyad

Les princes saoudiens ont réussi à réaliser un objectif unique à travers leur implication dans la guerre en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen : le chaos dans toutes ses dimensions sécuritaire, politique, psychologique, culturelle et nationale. On peut dire que l’équipe de Bandar ben Sultan a réussi à anéantir tout ce qui est resté d’espoirs sur le projet de la nation, sur une base nationale ou religieuse.

L’Arabie Saoudite n’est pas sortie victorieuse de ses batailles, et n’a pas agi selon ce principe. Elle cherchait à saboter les effets de la transition démocratique même si elle a réussi à répandre le chaos dans toute la région. En d’autres termes, elle a voulu que la perte soit globale.

Les choses s’approchent de leur fin, après que les intérêts stratégiques des grandes puissances ont été affectés, et que la stabilité au Proche-Orient et dans le monde a été ébranlée. Les consensus se sont avérés nécessaires. Ce qui a imposé à l’Arabie Saoudite une révision globale de sa politique, afin de prévenir de se noyer dans des crises auxquelles elle a contribué. Certes, il sera impossible d’en sortir sans faire de sacrifices.

source: arabi-press