Les rivalités locales qui ont marqué les élections en Turquie ont fait dimanche au moins 9 morts.
Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a proclamé dimanche sa victoire totale aux élections municipales en Turquie, malgré des mois de critiques et de scandales, et aussitôt promis à tous ses ennemis de leur en faire "payer le prix".
Au soir du large succès de son Parti de la justice et du développement (AKP), l'homme fort du pays a repris sa rhétorique agressive de campagne pour s'en prendre à l'opposition et surtout aux "traîtres" de l'organisation du prédicateur Fethullah Gülen, qu'il accuse de comploter contre son régime.
"Le peuple a aujourd'hui déjoué les plans sournois et les pièges immoraux (...) ceux qui ont attaqué la Turquie ont été démentis", a-t-il paradé devant des milliers de partisans en liesse réunis devant le quartier général de l'AKP à Ankara.
"Il n'y aura pas d'Etat dans l'Etat, l'heure est venue de les éliminer", a poursuivi le chef du gouvernement face à la foule brandissant des drapeaux du parti, qui a repris en coeur "la Turquie est fière de toi" ou encore "Dieu est grand".
Après le dépouillement de 95% des suffrages exprimés, les candidats de l'AKP sont arrivés nettement en tête en recueillant 45% des suffrages, largement devant ceux de son principal concurrent, le Parti républicain du peuple (CHP, centre-gauche), avec 28,5%.
Comme l'a suggéré le ton de ce discours, cette victoire sans appel devrait convaincre M. Erdogan, 60 ans, à se présenter à l'élection présidentielle d'août prochain, disputée pour la première fois au suffrage universel direct.
Pour parfaire ce triomphe, le parti au pouvoir, qui a remporté toutes les élections depuis 2002, a également conservé le contrôle de la plus grande ville du pays, Istanbul.
A Ankara, deuxième mégapole, la course était très serrée, le CHP revendiquant dans la nuit une différence de seulement quelques milliers de votes contre le très populiste maire AKP, Melih Gökçek, briguant un cinquième mandat record.
Le résultat définitif dans la capitale ne devait qu'être connu après un recomptage de voix dans certains districts.
"Ces chiffres montrent qu'Erdogan a survécu aux scandales sans trop de dommages", a commenté à l'AFP le politologue Mehmet Akif Okur, de l'université Gazi d'Ankara.
"Les électeurs ont pensé que si Erdogan tombait, ils tomberaient avec lui", a poursuivi M. Okur.
Nouvelles tensions
Après douze ans d'un pouvoir sans partage à la tête de la Turquie, le Premier ministre confirme, avec ce succès, qu'il reste le personnage le plus charismatique du pays mais aussi le plus controversé: acclamé par ceux qui voient en lui l'artisan du décollage économique du pays, mais peint par les autres en "dictateur".
Encore au faîte de sa puissance il y a un an, le "grand homme", comme l'appellent ses partisans, le "sultan", comme le moquent parfois ses rivaux, a subi une première alerte en juin 2013, lorsque des millions de Turcs ont exigé sa démission dans la rue.
Depuis plus de trois mois, il est à nouveau sérieusement mis à mal par de graves accusations de corruption qui éclaboussent son entourage.
M. Erdogan a contre-attaqué pour mobiliser son camp contre ses ex-alliés du mouvement Gülen, soupçonnés d'avoir formé un "Etat parallèle".
Cette lutte fratricide a culminé jeudi avec la diffusion sur les réseaux sociaux du compte-rendu d'une réunion où le ministre des Affaires étrangères
Ahmet Davutoglu et le chef des services de renseignements évoquent une entrée en guerre de la Turquie contre la Syrie, sans cacher leurs arrières-pensées électorales.
Malmené par ces révélations, le gouvernement a répondu par des purges et des mesures autoritaires, notamment le blocage de Twitter et de YouTube qui lui a valu une avalanche de critiques.
Malgré les appels au calme réitérés dimanche par le chef de l'Etat Abdullah Gül, la crise politique qui agite le pays semble partie pour se poursuivre jusqu'à la présidentielle, a fortiori si M. Erdogan décide de s'y présenter.
"Ca va mettre en colère les libéraux, les +gulénistes+ et l'opposition laïque", a anticipé Soner Cagaptay, du Washington Institute, "Erdogan va devenir plus autoritaire et la Turquie se polariser, avec des risques d'émeutes".
Le chef de file des nationalistes au Parlement, Devlet Bahçeli, s'est dit du même avis et estimé que le score obtenu par son parti ne permettrait pas à Erdogan d'être blanchi de soupçons de corruption. "Rien ne sera plus comme avant. Le Premier ministre a choisi d'avancer dans la voie de la division" en Turquie, a estimé le chef de l'Action nationaliste MHP qui a obtenu 15% des voix au scrutin local.
Loin des enjeux nationaux, les rivalités locales qui marquent régulièrement les élections en Turquie ont fait dimanche au moins 9 morts.