Ce bras de fer entre la plus haute instance judiciaire turque et l\’homme fort du pays devrait se poursuivre, puisque la Cour devrait très bientôt se prononcer sur une autre interdiction récemment mis en place par le gouvernement..
La Cour constitutionnelle turque a une nouvelle fois défié le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan en annulant vendredi une partie de sa réforme judiciaire destinée à renforcer son contrôle sur les magistrats, en plein scandale de corruption.
Une semaine après avoir ordonné la fin du blocage de Twitter, la plus haute instance judiciaire du pays a récidivé en déclarant contraires à la Constitution les nouveaux pouvoirs octroyés au ministre de la Justice sur le Haut-conseil des juges et procureurs (HSYK), en charge notamment des nominations de juges.
La Cour constitutionnelle avait été saisie par un député du principal parti d'opposition, qui s'était vivement opposé à cette réforme qui, à ses yeux, violait le principes de la séparation des pouvoirs.
"Cette loi comporte tant d'éléments inconstitutionnels qu'il aurait été étonnant que la Cour rende une autre décision", s'est félicité un vice-président du Parti républicain du peuple (CHP), Sezgin Tanrikulu.
"La Cour constitutionnelle s'affiche désormais en contre-pouvoir du régime", s'est réjoui M. Tanrikulu .
"Cet arrêt dit que, selon la Constitution, il ne peut y avoir de loi qui contredise l'indépendance et la neutralité des juges et des procureurs", a de son côté renchéri le président de l'association des barreaux de Turquie, Metin Feyzioglu.
Le gouvernement islamo-conservateur turc, au pouvoir depuis 2002, a déposé ce projet de loi après la révélation mi-décembre d'un scandale de corruption sans précédent visant des dizaines de proches du régime et M. Erdogan lui-même.
L'opposition avait immédiatement crié au scandale et dénoncé la volonté du pouvoir de reprendre en main la justice pour étouffer ces accusations.
Outre cette réforme, le Premier ministre avait ordonné une vague de purges dans la police et la justice, accusées d'être manipulées par ses anciens alliés de l'organisation du prédicateur musulman Fethullah Gülen dans le cadre d'un complot destiné à lui nuire.
Grand vainqueur du scrutin municipal du 30 mars, M. Erdogan a promis de régler son compte à l'organisation de M. Gülen et lorgne désormais sur la présidentielle d'août.
Dernier rempart ?
La polémique, très vive puisqu'elle a même dégénéré en pugilat au Parlement, avait franchi les frontières du pays, puisque de nombreux alliés de la Turquie, à commencer par l'Union européenne (UE) et les Etats-Unis, avait ouvertement mis en garde Ankara contre toute dérive autoritaire.
Le gouvernement avait alors balayé ces critiques d'un revers de main et le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, avait immédiatement procédé à une nouvelle vague de nominations dans tout l'appareil judiciaire.
"Ces magistrats doivent prendre leur responsabilité morale et immédiatement démissionner", a exigé vendredi M. Tanrikulu.
L'arrêt de la Cour constitutionnelle intervient neuf jours après un précédent jugement très "politique" qui a imposé au gouvernement de suspendre le blocage qu'il avait imposé au réseau Twitter pour enrayer la diffusion d'écoutes téléphoniques compromettantes sur les réseaux sociaux.
Furieux, M. Erdogan avait été contraint d'obtempérer mais sans avoir au préalable dit publiquement tout le mal qu'il en pensait. "Nous devons bien sûr appliquer le jugement de la Cour constitutionnelle, mais je ne le respecte pas", avait-il lancé.
Le président de la Cour, Hasim Kiliç, avec réagi avec ironie à la saillie du Premier ministre en la déclarant "impulsive".
Ce bras de fer entre la plus haute instance judiciaire turque et l'homme fort du pays devrait se poursuivre, puisque la Cour devrait très bientôt se prononcer sur une autre interdiction récemment mis en place par le gouvernement, celle qui concerne la plateforme d'échange de vidéos YouTube.
Malgré deux décisions de justice, les autorités ont encore rappelé jeudi leur volonté de maintenir le blocage du site de YouTube tant que l'entreprise américaine propriété du géant Google n'en retirait pas certains enregistrements, notamment celui où des hauts responsables turcs évoquent une intervention militaire en Syrie.
Ironie de la situation, le patron des "sages", une personnalité conservatrice mais respectée pour sa défense des libertés, s'était en 2008 opposé à la dissolution du parti de M. Erdogan, le Parti de la justice et du développement (AKP) pour "activités antilaïques".