Les crises tunisienne et égyptienne mettent avec cruauté en relief les imperfections d’une diplomatie européenne qui loin de parler d’une seule voix, comme elle en proclamait l’intention avec le traité de Lisbonne, le fait en o
"Nous nous sommes dotés d'une Haute Représentante" de l'UE aux Affaires étrangères, Catherine Ashton, "mais ce sont les Etats membres qui continuent à communiquer" et souvent "en ordre dispersé", a déploré cette semaine le chef de file de la droite au Parlement européen, sa principale force politique, Joseph Daul.
La vague de contestation sur la rive sud de la Méditerranée constitue la première grave crise internationale que l'Europe doit affronter, à sa porte de surcroît, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne fin 2009. Un texte qui ambitionnait d'accroître sa visibilité sur la scène internationale, grâce notamment à un tout nouveau service diplomatique.
Le bilan est peu flatteur. La chef de la diplomatie européenne Catherine Asthon, jugée au mieux inexpérimentée et peu réactive, est fustigée comme jamais.
Au Parlement européen, on parle d'une erreur "de casting", tandis que les gouvernements peinent à dissimuler leur déception à son égard. Ils ne font toutefois rien pour lui faciliter le travail, multipliant déclarations et initiatives sans réelle concertation avec elle.
"Il n'y a plus de pilote dans l'avion", résume un diplomate européen.
Face à une Haute représentante très affaiblie, chaque capitale entend jouer sa propre partition.
"La conception que j'ai de l'Europe, ce n'est pas que 27 chefs d'Etat et de gouvernement doivent se taire parce que nous avons la chance d'avoir Mme Ashton", a ironisé le président français Nicolas Sarkozy.
La frustration est particulièrement grande parmi les "petits" pays de l'UE.
Ils comptaient sur les nouvelles institutions renforcées du traité de Lisbonne pour faire contrepoids aux grandes diplomaties traditionnelles du Vieux continent, française et britannique en particulier, et doivent constater que ces dernières jouent modérément le jeu.
"L'Europe doit parler d'une seule voix, la voix de Mme Ashton", s'est fâché le Premier ministre belge Yves Leterme.
Le président de l'Union européenne Herman Van Rompuy, tout autant relégué au second plan, a lui aussi déploré les messages "trop dispersés" envoyés par les Européens sur l'Egypte et la Tunisie.
A peine les 27 dirigeants de l'UE avaient-ils décidé vendredi lors de leur sommet d'envoyer mi-février Mme Ashton en visite en Tunisie et en Egypte pour y porter leur parole, que la baronne britannique se faisait griller la politesse par le ministre des Affaires étrangères de son propre pays, William Hague. Il s'est rendu sans attendre dès mardi à Tunis.
Plusieurs autres de ses collègues frappent en coulisses à la porte de l'Egypte, pour être les premiers à y aller, souligne un diplomate.
"Dans certaines capitales européennes, tout le monde n'a pas encore compris la nouvelle donne" du traité de Lisbonne, regrette un haut responsable européen sous couvert de l'anonymat. "Ce qu'il faudrait c'est que d'autres ministres ne se précipitent pas dans d'autres capitales (de la région) avant elle. Et pour faire quoi d'ailleurs ?", ajoute-t-il.
Dans une étude qu'il vient de publier, le Center for European Policy Studies exhorte l'UE à "se doter d'un corps diplomatique de classe mondiale, capable de devenir un acteur de premier plan sur la scène internationale", en surmontant le "conservatisme" des chancelleries nationales "qui veulent en rester au statu quo".
A défaut, "on aboutira à un diplomatie européenne de plus en plus inutile et obsolète", prévient-il.
Par Yacine LE FORESTIER