Une première dans l’histoire des tribunaux internationaux:
Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), chargé de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, a ordonné la comparution, le 13 mai prochain, des journalistes libanais Ibrahim el-Amine (journal al-Akhbar) et Karma al-Khayat (chaîne TV al-Jadeed) pour outrage et obstruction à la justice. Les agissements de ce tribunal confirment tous les soupçons entourant cette instance, qui manque de légitimité et de crédibilité depuis sa création. Il s’agit en fait d’un outil au service de l’hégémonie américaine et un prétexte pour Washington afin d’intervenir dans les affaires du Liban.
Malgré toutes les plaintes contre les fuites médiatiques dans des médias occidentaux sur les travaux du tribunal, aucune enquête sérieuse n’a été menée par le TSL pour déterminer l’origine de ces fuites. Rappelons que la chaine de télévision CBS et l’hebdomadaire allemand Der Spiegel avaient publié en détail l’acte d’accusation, des mois avant qu’il ne soit rendu public par le tribunal. Les démissions qui se sont succédé au sein du TSL étaient liées à ces fuites, mais aucune explication n’a été apportées à ce sujet. Selon des informations sûres, des milieux liés aux services de renseignements américains, israéliens et français sont responsables de ces fuites médiatiques, afin de servir des objectifs politiques.
En dépit de la gravité de ces fuites, le tribunal n’a rien fait. Aucun des journalistes occidentaux qui ont publié les détails des enquêtes ainsi que le contenu de l’acte d’accusation, n’a été interrogé ou convoqué. Mais ce tribunal n’a pas hésité à sommer deux journalistes libanais à comparaitre à l’extérieur du Liban, ignorant la justice libanais, qui n’est plus qu’un intermédiaire, chargé de transmettre les mandats d’arrêt et autres exigences des juges internationaux.
Le tribunal parle de "transparence", d’"intégrité" et de "justice" lorsqu’il évoque son travail. Cela signifie qu’il devrait accepter de partager avec les médias les informations concernant son action et ses décisions. S’il n’avait rien à se reprocher, il ne devrait pas craindre que les projecteurs soient braqués sur son travail et apporter des réponses claires à une opinion publique qui se posent de questions sur sa création, son financement et son mode de fonctionnement. Cela passe forcément par le renforcement de la liberté d’expression au Liban et du rôle de la presse. Mais que le tribunal prenne pour cible la presse libanaise et la liberté d’expression prouve que ses vrais objectifs sont cachés et n’ont rien à voir avec la recherche de la vérité.
Les médias libanais sont soumis aux lois nationales. Toute tentative d’ignorer cette réalité constitue une atteinte à la souveraineté de l’Etat libanais et une tentative d’imposer un précédent, destiné à transformer le TSL en puissance tutélaire sur les Libanais et sur leurs lois.
Avant et pendant le processus de formation du tribunal, toutes les institutions et les archives du Liban ont été mises à la disposition des enquêteurs internationaux, qui ont écumé le pays sous prétexte de vouloir démasquer les assassins de Rafic Hariri et les auteurs des autres crimes commis au Liban depuis 2005 (le massacre de 1500 civils libanais en juillet-août 2006 par l’armée israélienne ne méritait pas, aux yeux de la communauté internationale, une enquête !).
Ces enquêteurs ont violé des centaines de fois la souveraineté libanaise pour élaborer un acte d’accusation répondant à des considérations politiques et non pas de justice. Il est rapidement apparu que le travail de ces enquêteurs visaient à préparer l’agression israélienne de 2006. Mais la défaite israélienne a provoqué l’effondrement de l’ensemble de ce projet. Cependant, le tribunal a été maintenu comme outil de réserve, susceptible d’être renfloué et réutilisé. Aujourd’hui, sa principale mission semble être de pourchasser tous ceux qui oseraient critiquer son action.
Le plus grave est que le pouvoir politique libanais ne réagit pas face aux atteintes contre la liberté d’expression. Le mouvement du 14-Mars, qui s’est posé toutes ces années en défenseur de la liberté, a avalé sa langue ou, carrément, soutenu le TSL. Cependant, de larges pans de la société libanaise refusent cette nouvelle tutelle et sont prêts à défendre la souveraineté du pays jusqu’au bout.