La question se pose désormais de savoir si Erdogan peut se présenter à la présidentielle en étant assuré de l’emporter, se plaçant dès lors, faute de nouveaux pouvoirs renforcés, en retrait par rapport au gouvernement.
Erdogan doit-il renoncer à la présidentielle? "Espèce de sperme d’Israël": l’insulte a fusé telle quelle. Sous le coup de la colère mais avec un naturel plus que déconcertant. C’est en ces termes que le Premier ministre turc s’en est pris, en l’agrippant par le cou, à un habitant de la ville minière de Soma qui venait de le conspuer.
Sifflé, hué, Recep Tayyip Erdogan n’en est pas à son premier coup d’éclat et il a toujours montré qu’il n’était pas homme à se laisser déstabiliser.
La semaine dernière, il avait rembarré rudement le président de l’ordre des avocats, qui venait de critiquer publiquement son bilan en matière de respect des droits et de la justice.
Mais à Soma, dans l’ouest du pays, en ayant l’air de considérer que le coup de grisou qui a fait 300 morts dans la mine était somme toute un accident inhérent à "la nature de cette profession", il a fait preuve d’un tel manque de compassion que "cette fois, même [ses] partisans se posent des questions", selon les mots d’un politologue à Ankara.
Est-ce vraiment ainsi qu’il espère convaincre en vue de l’élection présidentielle du mois d’août prochain? Un scrutin qu’il vise, après déjà onze années passées au pouvoir, et dans la foulée d’élections municipales qui ont renforcé son parti, l’AKP?
"Quand je pense qu’on l’a vu pleurer lorsque les Frères musulmans se faisaient massacrer par les forces de sécurité égyptiennes alors qu’à Soma, au coeur de son électorat, il n’a pas été émotionnellement à la hauteur de cette tragédie, cela risque de lui coûter cher", analyse Dorothée Schmid, spécialiste de la Turquie contemporaine à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
À l’en croire, Erdogan est un "animal politique qui se sent galvanisé dans l’adversité" mais commet décidément "trop d’impairs". Usure de l’homme? ou du pouvoir? ou d’une économie émergente que le développement et la croissance à tout prix finissent par faire disjoncter? Que ce soit à Istanbul avec la folie immobilière, dont les manifestations pour sauver le parc Gezi étaient une illustration, ou face à la corruption devenue démente et dénoncée par une opposition décomplexée.
Ou enfin dans cette mine de Soma dont l’exploitant, un proche de l’AKP, se faisait une fierté d’avoir ramené les coûts de production de 130 à 24 $ la tonne de charbon…
La majorité au Parlement ne lui est pas acquise
Selon la Constitution, la présidence turque offre moins de pouvoir que le poste de Premier ministre. En se faisant réélire pour la troisième fois à la tête du gouvernement en 2011, Recep Tayyip Erdogan espérait bien bénéficier d’une forte majorité pour pouvoir modifier la Constitution afin d’accorder davantage de pouvoir à la présidence de la République.
Il n’est plus certain que cette majorité des deux tiers au Parlement lui soit acquise. Naturellement, il pourrait toujours incarner le pouvoir avec davantage de force que son partenaire et rival actuel Abdullah Gül.
Mais la question se pose désormais de savoir si Erdogan peut se présenter à la présidentielle en étant assuré de l’emporter, se plaçant dès lors, faute de nouveaux pouvoirs renforcés, en retrait par rapport au gouvernement. Ou bien s’il y renonce, pour finir son mandat de Premier ministre, ce qui ne manquerait pas d’être perçu comme une reculade.
source: lejdd