Un journaliste du Der Spiegel a été menacé de mort par des partisans d’Erdogan
La catastrophe de la mine de Soma en Turquie a suscité une nouvelle salve d'attaques du gouvernement islamo-conservateur contre la presse indépendante et étrangère, dont il a qualifié de "provocations" les critiques sur sa gestion de la crise.
Correspondant à Istanbul de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, Hasnain Kazim a été particulièrement visé par les partisans du régime, au point d'être contraint de se mettre quelques jours au vert après avoir reçu des menaces de mort.
"Plus de 10.000 tweets, mails ou messages sur Facebook, dont plusieurs centaines sont des menaces de mort", a-t-il lui-même recensé sur son compte Twitter.
M. Kazim, de nationalité allemande et marié à une Turque, a expliqué dans un courriel adressé à l'AFP qu'il avait pris "quelques jours de vacances, juste par mesure de sécurité". "Dans quelques jours, je serai de retour à Istanbul et je reprendrai mon travail", a-t-il ajouté.
C'est le titre d'un article écrit par le correspondant du Spiegel sur le pire accident industriel de l'histoire turque qui a mis le feu aux poudres: "Erdogan, va en enfer!".
Le journaliste a eu beau expliquer que ce titre n'était qu'une citation d'un des mineurs qui a survécu à la catastrophe qui a tué 301 de ses collègues, rien n'y a fait.
Les partisans du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et de son gouvernement, accusés d'avoir négligé la sécurité des mineurs et d'avoir manqué d'empathie pour les victimes du drame, l'ont immédiatement inondé d'insultes et de menaces.
"Espèce de porc, quitte mon pays”, "tu ne mérites que la mort!", lui ont ainsi lancé sur Twitter des internautes en colère.
Sans hésiter, la presse favorable au régime a rapidement relayé ce lynchage. Le quotidien Yeni Safak a ainsi qualifié de Der Spiegel d'être "l'instrument de l'Allemagne pour déstabiliser la sécurité nationale en Turquie".
La presse dans le collimateur
Cette campagne intervient à quelques jours d'une visite de M. Erdogan en Allemagne, où il doit notamment faire campagne auprès des 1,5 million d'électeurs turcs qui y résident en vue de l'élection présidentielle des 10 et 24 août prochains.
Si elle n'est pas encore officielle, la candidature à ce scrutin de celui qui dirige sans partage la Turquie depuis 2003 ne fait plus guère de doute.
Très agacé par les critiques qui pleuvent sur lui depuis le drame du 14 mai, M. Erdogan a lui-même montré sa nervosité en prenant violemment à partie un manifestant qui le huait lors d'une visite mouvementée à Soma, la semaine dernière.
Fidèle à ses habitudes, le Premier ministre s'en est lui-même pris à la presse mardi lors de sa harangue hebdomadaire au Parlement.
Le chef du gouvernement a rétorqué à un journaliste du quotidien Hürriyet, Yilmaz Ozdil, qui dénonçait son incompétence que "celui qui a tenu ces paroles immorales n'est pas digne d'être un être humain". Et a réclamé son licenciement.
M. Erdogan a publiquement souhaité le même sort à une chroniqueuse du journal Posta, Yazgülü Aldogan, qui avait osé remettre en cause la décision du gouvernement d'attribuer la qualité de "martyrs" aux mineurs disparus.
La presse étrangère n'a pas été épargnée. A commencer par la BBC, accusée d'avoir recruté des "acteurs pour leur faire jouer le rôle de proches des mineurs" pour leur faire colporter "mensonges et diffamation" dans le monde entier.
Le correspondant de la radio-télévision britannique a naturellement démenti, dénonçant, comme avec d'autres correspondants étrangers, des "attaques sans fondement".
Il y a bientôt un an, M. Erdogan avait sèchement critiqué la couverture de la fronde antigouvernementale qui a fait vaciller son régime, parlant de "complot". Dans la foulée, des dizaines de journalistes turcs avaient été licenciés ou "démissionnés".
La Turquie est classée par les ONG de défense de la liberté de la presse parmi les pays les plus répressifs de la planète en la matière, avec la Chine et l'Iran.