22-11-2024 10:56 PM Jerusalem Timing

A Djerba, en Tunisie, un cocon parfois étouffant pour la communauté juive

A Djerba, en Tunisie, un cocon parfois étouffant pour la communauté juive

Une communauté de 1.500 individus

A Djerba, juifs et musulmans cohabitent "depuis toujours". Mais ce cocon situé dans le sud de la Tunisie peut se révéler étouffant pour certains membres de la petite communauté juive, qui déplorent l'absence de perspectives.
   
C'est sur cette île que se tient le pèlerinage juif annuel de la synagogue de la Ghriba, organisé cette année du 16 au 18 mai sur fond de polémique, plusieurs députés ayant réclamé qu'il soit interdit aux touristes israéliens d'entrer en Tunisie.
   
Dans ce contexte, les autorités n'ont pas lésiné sur les moyens pour sécuriser la Hara Kbira, le "grand quartier" juif de Djerba, et la plus ancienne synagogue d'Afrique, visée par un attentat suicide en 2002 (21 morts).
"Nous, les juifs, on vit ici depuis plus de 2.000 ans", dit Claudine Saghroun, 44 ans, une habitante de la Hara. "Et pendant la révolution (de 2011), quand à un moment il n'y a plus eu de police, les musulmans nous ont dit +Rentrez chez vous, on vous protègera+".
"Juste après la révolution, nous avons eu des craintes. Plus maintenant", affirme à l'AFP le Grand Rabbin de Tunisie, Haïm Bittan, selon qui il y a environ 1.500 juifs dans le pays, la majorité à Djerba.
   
Le quartier, autrefois exclusivement juif, est depuis de longues années partagé avec des musulmans. Dans l'une de ses rues, l'échoppe de Belgacem Boujenah, un cordonnier partisan des islamistes d'Ennahda, avoisine "Chez Rami", le local d'un juif spécialisé en "briks", une friture typiquement tunisienne.
"Même nos noms, on les partage", sourit M. Boujenah en allusion à son patronyme, que portent aussi des Tunisiens juifs.
   
Les enfants des deux confessions étudient en général dans les mêmes classes, et les juifs disposent d'écoles hébraïques pour les cours de langue et de religion.
   
   
Vagues d'émigration
   
 Derrière cette unité, des angoisses subsistent néanmoins.
Avant son indépendance en 1956, la Tunisie comptait plus de 100.000 juifs, une population réduite à peau de chagrin par plusieurs vagues d'émigration, notamment à cause de discriminations malgré les assurances des autorités et des répercussions des conflits entre Israël et les pays arabes.
   
Durant le récent pèlerinage, comme depuis plusieurs années, les pèlerins n'ont pas pu effectuer leur procession à travers les rues et ont dû rester dans l'enceinte de la Ghriba.
 
Mikhaïl, 40 ans et cinq enfants, admet d'ailleurs après réflexion qu'il ne sortirait pas de la Hara avec sa kippa.
 "Ce n'est pas des Djerbiens, avec qui nous vivons depuis toujours, dont j'aurais peur mais des gens qui ne seraient pas d'ici et qui ne nous connaîtraient pas", explique-t-il. "On ne sait pas comment ils réagiraient".
   
Perez Trabelsi, le président de la synagogue de la Ghriba, regrette qu'il y ait "des gens en Tunisie qui n'ont jamais vu de juifs", tout en soulignant avoir "confiance" en son pays.
   
Le discours d'égalité des autorités est pour sa part remis en cause par des faits symboliques.
"Ils disent qu'on a un Etat démocratique, un Etat civil, mais le président de la République doit être musulman. ça me gêne beaucoup", dit Mikhaïl en référence à cette règle édictée dans la Constitution.
   
Par ailleurs, selon un accord tacite en vigueur depuis le 19e siècle, les Tunisiens de confession juive ne sont pas convoqués pour le service militaire, bien qu'aucune loi ne les empêche de s'enrôler.
 Mais pour certains juifs, c'est la communauté qui est trop fermée. Une mère de famille préférant garder l'anonymat souligne ainsi que ce cocon prive les jeunes de perspectives.
"Mes enfants n'ont pas d'avenir ici. Qu'est-ce qu'ils vont faire, travailler dans la joaillerie? Il n'y a pas que la joaillerie dans la vie, quand même?", demande-t-elle, en allusion à ce métier très répandu parmi les juifs de Djerba.
   
Mikhaïl le reconnaît, notant que les filles se marient "à 18, 20 ans" et que beaucoup de garçons sont formés pour travailler dans les bijouteries. Pour lui, il s'agit de sauvegarder la communauté et ses traditions.
"Si on les envoie à l'université à Tunis et qu'ils se mélangent (aux musulmans, ndlr), qu'il y a des mariages mixtes, à quoi ça aura servi" d'avoir préservé la minorité juive de Djerba?, s'interroge-t-il.