"S’ils viennent pour casser la mosquée, ils cassent la mosquée, ils me tuent et on en termine", lance un imam d’une mosquée.
Au petit matin, à l'heure de rejoindre le PK-5, l'enclave où vivent reclus les derniers musulmans de Bangui, des coups de feu retentissent. Avenue Koudoukou les taxis jaunes font brusquement demi-tour. L'homme avec qui l'AFP a rendez-vous appelle: "il y a une attaque, attendez".
Une demi-heure après, les coups de feu ont cessé, le feu vert est donné. Après le quartier chrétien de Miskine, Koudoukou devient un no man's land avec, sur la route, des restes de pneus brûlés et de barricades et sur le coté des boutiques en bois abandonnées. Puis, les mines fatiguées de jeunes musulmans assis sur des bancs marquent l'arrivée dans le PK-5.
Ici, les messages anti-français sont partout, sur les murs, les panneaux publicitaires, les petites boutiques abandonnées. Des "non à la France", une croix gammée dessinée à côté du mot "FRANCE", trahissent le sentiment d'abandon des musulmans face aux violences.
Lors de l'attaque du matin, un tireur posté en lisière du PK-5, a visé des hommes venus chercher du pain. "Les armes ont encore crépité. J'ai eu peur. Il y a des blessés. Cela fait des mois que nous sommes aux aguets, stressés", dit le docteur Oumarou.
Ce professeur de physique au crâne chauve se dit condamné à cacher qu'il est musulman pour se rendre au centre-ville. "On se déguise", dit-il. Il voudrait aller au Cameroun, pour le travail, mais rejoindre l'aéroport est quasi-impossible sans escorte militaire. Tout comme la banque, où il n'a pas pu retirer son salaire. "Ici, nous sommes des prisonniers".
Au PK-5, dernière enclave musulmane de Bangui après le départ des musulmans du nord de la ville il y a un mois, ils ne sont plus que 1.000 à 2.000 à se terrer dans la peur des attaques.
Convoyés par des soldats de la Misca ou par leurs propres moyens, l'immense majorité des musulmans du PK-5 a pris le chemin de l'exode, vers le nord du pays ou le Tchad, pour fuir les exactions des "anti-balaka", ces milices chrétiennes rivales de la Séléka, ex-rebelles en majorité musulmans, au pouvoir de mars 2013 à janvier dernier.
Tirs, intrusions, jets de grenades et rumeurs incessantes d'attaques massives d'anti-balaka continuent de rythmer le quotidien du PK-5. Quand le calme revient, chacun se débrouille pour trouver riz, sucre, savon sans sortir du quartier.
Abdelaziz Adam, un des grands commerçants du PK-5, n'est pas sorti "depuis quatre mois". La dernière fois, alors qu'il se rendait dans le centre, il s'est fait agresser, dit-il. Un de ses semi-remorques a été volé. Il s'en désole avec cette formule qui résume bien la situation au PK-5 et ailleurs en Centrafrique:
"Ici 90% des gens veulent la paix".
- Désarmer le PK-5 -
Barbichette blanche et grosses lunettes rondes, l'imam de la mosquée d'Ali Babolo est en colère contre ceux qui veulent "éradiquer l'islam de ce pays".
"Hors du PK-5 toutes les grandes mosquées de Bangui ont été détruites", dit-il. Pour défendre la mosquée et les habitants, des "groupes d'auto-défense" ont été montés. Une vingtaine de jeunes par quartier dans les six que compte le PK-5.
Ils sortent le soir, à la nuit tombante, quand les soldats burundais de la Misca, chargés de la protection du PK-5, rentrent dans leur caserne.
A Bangui, habitants, manifestants, partis politiques demandent le désarmement "immédiat" du PK-5, après la tuerie de l'église Fatima qui a fait 17 morts, et que tout le monde attribue aux "groupes armés musulmans".
Pour calmer la population, la présidente de transition Catherine Samba Panza s'est engagée à désarmer le PK-5. Mais, a-t-elle prévenu, "pas question d'arriver, de boucler" le quartier et de laisser les musulmans "à la merci" de leurs assaillants.
De leur côté, les musulmans répondent qu'ils n'ont que machettes, arc et flèches pour se défendre et qu'ils demanderont à la communauté internationale d'être évacués de Bangui si on les désarme.
Mais ils ne parlent pas des hommes en civils qu'on voit déambuler dans la rue avec des kalachnikovs. Comme dans cette voiture, qui circule au ralenti, avec cinq hommes armés à l'intérieur.
"On ne peut pas tout dévoiler de notre stratégie militaire", répond l'un des responsables de la communauté quand on l'interroge sur cet armement.
Au Pk-5, tout le monde attend la paix, mais plus personne n'y croit. "Même un million de casques bleus ne changerait rien, tant que les anti-balaka veulent nous chasser", dit Mahmoud, un habitant.
"J'attends, je suis là", dit l'imam dans sa mosquée. "S'ils viennent pour casser la mosquée, ils cassent la mosquée, ils me tuent et on en termine".