"les oligarques ukrainiens, les politiciens de droit et les dirigeants des structures de force ne perdraient rien si l’Ukraine se transformait en un État "ligne de front", aux avant-postes d’une nouvelle guerre froide".
L'abattage de l'avion ukrainien Il-76 par les miliciens de Lougansk a entraîné l'attaque d'une foule déchaînée contre l'ambassade de Russie à Kiev – elle a été stoppée au dernier moment, écrit jeudi le quotidien Vedomosti. Les méthodes utilisées pour cela par le ministre ukrainien des Affaires étrangères Andreï Dechtchitsa ont offensé Moscou et lui ont coûté sa place. Si l'assaut n'avait pas été arrêté, d'après l'ambassadeur russe à Kiev Mikhaïl Zourabov, la sécurité de l'ambassade aurait ouvert le feu, entraînant de nombreuses victimes des deux côtés avec des "conséquences imprévisibles". Il aurait certainement été question d'un grand nombre de victimes parmi la population de Kiev et le personnel de l'ambassade russe, ce qui aurait pu déclencher une véritable guerre.
La catastrophe n'a pu être évitée qu'au prix de la carrière du ministre des Affaires étrangères par intérim. Mais pourrait-on croire que l'armée ukrainienne évitera de nouvelles grandes pertes? Chaque heure de guerre réduit la marge de manœuvre des politiciens. Si après la rencontre de Poutine et de Porochenko en Normandie le 6 juin on avait eu l'impression d'une désescalade, aujourd'hui les événements évoluent dans le sens inverse.
Début mai, après le retrait de la majeure partie des troupes russes de la frontière, l'Ukraine a engagé une nouvelle phase de son opération antiterroriste. On pouvait s'attendre à deux scénarios: soit l'armée ukrainienne rétablissait le contrôle dans le Donbass avec des dommages et des victimes civiles limités, repoussant les miliciens en Russie, soit l'offensive s'enlisait et les négociations commençaient pour aboutir à une version ukrainienne des accords de Khassaviourt. Les deux versions ouvraient la voie à une désescalade et au règlement politique de la crise. Quel que soit le scénario, le rôle de la Russie aurait été central. Mais c'est un troisième plan qui s'est déroulé. L'offensive ukrainienne a échoué et l'Ukraine a réagi par l'escalade des opérations, l'utilisation accrue d'armements lourds et les attaques contre l'infrastructure des régions insurgées, entraînant des victimes civiles.
Les affrontements s'exacerbent des deux côtés. Ils ont déjà conduit à un afflux de réfugiés en Russie et des violations répétées de la frontière russe, y compris par des militaires ukrainiens. Le massacre dans le Donbass, dans le contexte de l'inaction flagrante de la Russie, suscite la colère de la population.
La Russie a déjà commencé à projeter des troupes vers la frontière ukrainienne, pour l'instant pour renforcer la sécurité. Mais des vidéos du déplacement vers la frontière d'unités importantes de transmissions et logistiques ont déjà été rendues publiques. Elles sont nécessaires pour constituer un grand groupe armé en mesure de mener une opération offensive. Cette opération semble inévitable si la guerre se poursuivait dans le Donbass.
La poursuite des combats pour conserver le Donbass n'a aucune perspective pour l'Ukraine. Le pays traverse l'année la plus difficile pour son économie depuis l'indépendance. Les réalités économiques et politiques sont telles qu'on pourrait s'attendre à une nouvelle explosion sociale dès l'automne, indépendamment du déroulement de la guerre. Même si le Donbass était conquis dans les mois à venir la stabilisation de ce territoire en ruines, dans l'état actuel de l'Ukraine et de son économie, n'a aucune perspective.
L'évolution catastrophique de la situation ne profite ni à la Russie, ni à l'UE, ni aux USA, ni au nouveau président ukrainien. D'un autre côté les oligarques ukrainiens, les politiciens de droit et les dirigeants des structures de force ne perdraient rien si l'Ukraine se transformait en un État "ligne de front", aux avant-postes d'une nouvelle guerre froide.